Ceux qui ne voient en Tesla qu’un constructeur de voitures électriques se trompent lourdement. Ils commettent la même erreur qu’à propos d’Apple dans les années 1980. À l’époque, on avait salué des ordinateurs incroyablement faciles d’usage. Apple II, Lisa, et surtout Macintosh, Apple était célébré pour ses machines. Mais la révolution était plus dans le soft (les programmes) inventé par la firme à la pomme que dans le hard (le matériel). Il en est de même pour Tesla. Comme Steve Jobs pour Apple, Elon Musk a créé un nouvel écosystème dont le cœur n’est pas la voiture mais bel et bien ses infrastructures de recharge.
Le bouillant patron de Tesla a compris que le véhicule électrique n’obtiendrait ses lettres de noblesse que s’il est capable de rivaliser avec le véhicule «thermique» classique sur deux points précis: l’autonomie et la rapidité de recharge.
La marque californienne a donc déployé sur toute la planète ses «superchargeurs», un réseau de bornes très haut débit (125 kW). Il compte actuellement 62 stations en France (seulement 7 sur les autoroutes, mais le reste proche de ces voies rapides) avec chacune 8 prises, soit au total près de 500 prises. À cela s’ajoute un système de «recharge à destination» avec des bornes «standard» sur 400 sites (hôtels, restaurants, centres commerciaux). Dès 2020, le réseau Ionity devrait concurrencer celui de Tesla (lire ci-dessous).
L’enjeu du haut débit a rattrapé les autres acteurs de la mobilité électrique. La situation est encore loin d’être idéale: si la France compte 8 320 stations (22 308 points de charge), la recharge rapide ne représente qu’environ 10 % de ce chiffre.
Sodetrel, une filiale d’EDF, a mis en place sur les autoroutes un réseau «Corri-Door» de quelque 200 bornes haut débit (une tous les 80 km). Pour le reste, on se trouve face à une pluralité d’acteurs. Le constructeur Nissan a installé 300 bornes de recharge rapide en France. Il a équipé la quasi-totalité des magasins Auchan, les enseignes Cora d’Alsace, ainsi que tous les magasins Ikea. Il a aussi implanté ses bornes dans des stations-service (BP et Esso). En Vendée ou dans le Morbihan, les bornes de Nissan se trouvent sur le domaine public grâce à des syndicats d’énergie locaux. Total, dont le réseau compte déjà plus de 7 000 bornes en France, devrait renforcer ses stations en bornes de 150 kW. Les concessionnaires automobiles participent également au haut débit.
Après le déploiement se pose le problème de l’accès au réseau. Les applications sur smartphone indiquant les prises libres devraient se généraliser, de même que les «pass» permettant de recharger ses batteries dans toute l’Europe. Autre souci, le coût de l’énergie délivrée. Actuellement bon marché, un plein d’électricité pourrait coûter un jour plusieurs dizaines d’euros avec le très haut débit, soit un tarif proche de celui des carburants fossiles. Nissan voudrait de son côté rendre cette énergie gratuite avec une possibilité de revente de l’énergie stockée dans les batteries (voir page 2). Enfin, il va bien falloir fabriquer toute cette électricité. Mais ceci est un autre défi.
Ionity, le réseau concurrent de Tesla
Son siège social est à Munich. Ses membres ont pour noms BMW, Mercedes, Volkswagen (Audi et Porsche) auquel s’est joint l’américain Ford. Réunis dans un consortium du nom de Ionity, ils ont pour objectif est de faire entrer le véhicule électrique dans l’ultra haut débit, c’est-à-dire des bornes de recharge pouvant débiter jusqu’à 350 kW. Le véhicule électrique récupérerait alors plusieurs centaines de kilomètres d’autonomie en une poignée de minutes et n’exigerait pas beaucoup plus de temps que pour remplir un réservoir d’essence. Ionity ne manque pas d’ambitions. Les quatre partenaires espèrent ouvrir plus de la moitié des quatre cents sites prévus pour la première phase de développement, dès 2020. De l’Allemagne jusqu’à la petite Slovénie, Ionity s’étendra sur dix-huit pays. Ce réseau sera placé sous les auspices du pétrolier Shell, qui milite pour «les longs déplacements en voiture électrique». Ionity utilisera le standard de recharge européen Combinated Charging System (CCS), contre un connecteur de Type 2 pour Tesla. On parle d’un investissement de plus de 3 milliards d’euros, avec l’idée qu’aucun point de charge ne soit situé à plus de 120 km d’un autre.
Porsche à l’affût
Par la qualité de ses participants et les moyens mis en oeuvre, cette offensive germanique apporte un peu plus de crédibilité au véhicule électrique. Si Porsche espère bien tirer parti de la puissance maximale des bornes pour ses véhicules de sport, Audi, en revanche, se contentera, au moins au début, d’un débit de 150 kW pour les siens. Face à Ionity, Tesla a décidé d’accélérer le déploiement de ses systèmes de recharge. Et se dit prêt à ouvrir ses «superchargeurs» à qui le demandera. La guerre de l’électricité serait-elle déclarée?