Souvenez-vous, c’était en mars de l’an dernier. Une piétonne qui traversait en dehors d’un passage protégé, en poussant son vélo, était tuée en Arizona par un taxi autonome Uber. Défaut de surveillance du conducteur, dont la présence est encore obligatoire, même si le véhicule est en mode automatique? Réaction des systèmes de la voiture moins rapide que prévu? L’enquête est toujours en cours.
«Avec notre nouveau matériel, cette tragédie ne se serait pas produite», tranche Raul Bravo. Ce Catalan de 39 ans, spécialiste depuis une vingtaine d’années des plus hautes technologies, président fondateur de Outsight, une jeune pousse française, n’est pas peu fier de présenter aujourd’hui même son premier bébé: une caméra «trois dimensions» capable de miracles en matière de reconnaissance de l’environnement. L’engin ressemble à un radio-réveil et se place à l’avant du véhicule. Véritable «tout en un», il est capable de percevoir et de comprendre simultanément l’environnement à des centaines de mètres, y compris les éléments clefs de la composition chimique des objets mais aussi des matières organiques, comme la peau.
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Dans l’accident intervenu en Arizona, une hypothèse avance que la piétonne aurait été confondue, en pleine nuit, avec un sac en plastique ou une feuille. La caméra 3D l’aurait à coup sûr détectée comme un être humain et la voiture l’aurait évitée. Les 600 m² qui hébergent les bureaux de l’entreprise de Raul Bravo, situés dans l’un des meilleurs quartiers parisien, respirent l’opulence. Visiblement, l’argent ne manque pas. Selon lui, il viendrait de grands noms de l’industrie. Lesquels? On n’en saura pas plus. «Les grandes sociétés ont des grandes contraintes de communication», répond-il.
C’est un fait: depuis quelques années, le véhicule autonome exerce une véritable fascination sur les grands constructeurs automobiles, qui n’hésitent pas à lui consacrer discrètement d’importantes ressources. Il représente aussi pour eux un support de communication dont ils jouent volontiers pour titiller les esprits sur les futures technologies qu’ils mettent au point – ou font mettre au point par des sociétés comme Outsight.
Mais le véhicule autonome ne doit pas être pris pour une réalité. La semaine dernière, une vidéo montrant un couple d’Américains dormant profondément à l’avant d’une Tesla a enflammé le Net. On découvre son conducteur, effondré sur son volant, pendant que son engin roule à près de 100 km/h. La voiture électrique californienne dispose certes des meilleurs aides à la conduite actuelles (régulateur de vitesse adaptatif, maintien dans la file, freinage d’urgence, notamment). Mais elle ne peut pas encore prétendre être une voiture autonome – Tesla le rappelle fréquemment.
L’évolution technologique s’accélère avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage («deep learning») qu’elle permet aux systèmes informatiques. «Il va cependant falloir inventer d’innombrables algorithmes pour faire rouler avec efficacité et sécurité un véhicule sans conducteur» avertit Doug Davis, vice-président d’Intel, la société qui a inventé le microprocesseur. Günther Siegel, également vice-président, mais de Ansys, l’un des leaders américains de l’intelligence artificielle et des logiciels de simulation, a sa propre opinion sur la question: «Le véhicule autonome sera au point quand il reconnaîtra une personne déguisée en poule traversant devant son capot!» Bref, une voiture sans conducteur devra se montrer capable de reconnaître et d’analyser toutes les situations, même les plus improbables. «Les systèmes doivent se montrer fiables non pas à 99,9 %, mais à 100 %», précise ce spécialiste. Selon lui, une autre étape sera franchie avec l’arrivée d’outils informatiques encore plus puissants. De quoi créer nombre de programmes de nouvelles générations.
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Mais la révolution s’effectue également par le matériel que va embarquer le véhicule autonome. Cartes géographiques numérisées, GPS, laser, caméra, radar, centrale d’apprentissage, ces composants ont été inventés ou se sont perfectionnés ces dernières années. Ils se sont aussi miniaturisés. Il y a peu encore, une centrale à inertie occupait le volume d‘une armoire (elles ont d’abord équipé les sous-marins puis les avions). Aujourd’hui, un smartphone peut en comporter plusieurs! Cette miniaturisation assure aussi une intégration plus forte entre tous les éléments qui déterminent le guidage du véhicule autonome. Leur légèreté permettra aussi de ne pas trop l’alourdir.
Après le logiciel et le matériel, une troisième étape est en cours de franchissement avec l’émergence de nouveaux réseaux. Réseaux électriques, tout d’abord. Car il y a de fortes chances que le véhicule autonome ait recours uniquement à la Fée électricité pour se mouvoir. Il lui faudra alors disposer de bornes de haute puissance, dont le développement s’accélère aujourd’hui (réseau Ionity en Europe, notamment). L’arrivée prochaine de réseaux de télécommunications de cinquième génération (5G) est aussi pour lui une aubaine. Car il sera bien sûr hautement connecté. Ces réseaux à très haut débit lui permettront de maintenir instantanément à jour ses bases de données (cartes, GPS…) mais aussi de recevoir des masses importantes de données nécessaires à la création en temps réel de son environnement, en appui de celles captées par la voiture elle-même.
L’arrivée sur les routes du véhicule autonome se précise. On parle de 2023 pour les premiers exemplaires sur l’asphalte, d’abord au sein d’«environnements contraints», comme les aéroports, ou encore des portions d’autoroutes (étape n° 4). Mais la totale autonomie (étape n° 5) sera sans doute beaucoup plus tardive, et donner aujourd’hui une date relève de l’exercice de sorcellerie.
D’ici là, le véhicule autonome pourrait bien devenir la vitrine et le laboratoire de ces technologies qui vont bouleverser notre futur. Les caméras intelligentes trouveront ainsi d’autres applications. Elles vont se diffuser dans l’aérospatiale, l’industrie, et même la médecine où, un jour, elles seront capables, selon les spécialistes, de détecter une tumeur cancéreuse mieux que n’importe quel praticien.
Maîtriser toutes les facettes du véhicule automatisé
Selon une étude publiée en début d’année et menée dans cinq pays (Allemagne, Chine, États-Unis, Japon et France), les automobilistes, lorsqu’on les interroge sur le véhicule totalement autonome, plébiscitent, pour près de la moitié d’entre eux (47 %), la possibilité de «dormir et se relaxer» (73 % pour le public français). Viennent ensuite l’envie de «se divertir» (40 %), puis «manger et boire» (38 %), et, enfin, «travailler et être productif» (36 %).
En prévision de ces usages, les constructeurs adaptent déjà les prototypes des futures voitures. Lors de l’édition du Mondial de l’Auto 2018, Renault avait présenté un magnifique concept EZ-Ultimo. Plancher en noyer, banquette tendue de velours et de cuir, bandeaux de marbre, le Losange s’inscrivait clairement avec lui dans une tendance «cocooning».
Tout aussi spectaculaire, le spectaculaire concept Volvo 360c, dévoilé en même temps, était pour sa part doté d’une couchette et d’un toit transparent.
Mais combien, aujourd’hui, accepteraient de s’installer à bord d’un véhicule totalement automatisé? Il faudra admettre la souveraineté et la fiabilité des systèmes de guidages de ces futures voitures. Ce qui signifie un profond changement des mentalités. La législation reste un autre écueil. La convention de Vienne de 1968 sur la circulation routière exige toujours la présence d’un conducteur à bord. Même si une brèche a été ouverte dans ce texte en mars 2016 afin de permettre la conduite automatisée sur route, il faudra donner de solides garanties aux juristes. Les assureurs s’interrogent également: quel sera l’impact du véhicule autonome sur la sinistralité dans les primes d’assurance? Quelles pourraient être les nouvelles formes d’assurance amenées à se développer? La voiture sans conducteur n’a pas fini de faire parler d’elle.