Ingénieur brillant, stratège hors pair et architecte du groupe Volkswagen, Ferdinand K. Piëch – disparu fin août juste après notre périple – était un petit-fils de Ferdinand Porsche. Durant six jours d’un road-trip en Autriche truffé de surprises et organisé par le club Porsche 356 français, nous avons suivi les traces de son grand-père et de sa famille. Né le 3 septembre 1875 à Maffersdorf dans le nord de la Bohème, Ferdinand Porsche appartient au cercle des personnalités qui ont donné des impulsions déterminantes et novatrices au monde de l’automobile. Rien ne le prédestinait à devenir un ingénieur réputé et être à l’origine d’une dynastie qui a épousé l’automobile.
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Le nom de Porsche figure dans les actes officiels depuis 1253 sous les patronymes successifs de Borso, Boresch, Porse, Pursche. Si Godifridus Pursche était encore un paysan au XIXe siècle, ses héritiers ont exercé la profession de drapiers et le père de Ferdinand était plombier. Adolescent, Ferdinand se passionne pour l’électricité. La légende veut qu’il équipe la maison familiale d’un éclairage électrique à l’âge de 16 ans. Au tournant du XXe siècle, il intègre la compagnie d’électricité Bela Egger, à Vienne. C’est là qu’il rencontre Aloisia Johannes Kaes, l’assistante de direction épousée en 1903 et avec qui il aura deux enfants. Le premier, une fille prénommée Louise, naît le 29 août 1904. Elle se mariera avec l’avocat de son père: le Viennois Anton Piëch. Quatre enfants naîtront de cette union: Ernst, Louise, Ferdinand Karl et Hans-Michaël.
Lorsque le second, Ferdinand Anton Ernst, plus connu sous le diminutif Ferry, vient au monde le 19 septembre 1909, Ferdinand a déjà entraîné sa famille à Wiener Neustadt, chez le constructeur Austro-Daimler. Il occupe les fonctions de directeur technique avant d’en devenir le directeur. C’est sans surprise que, dans ce contexte, Ferry réclame déjà une voiture à 10 ans. Elle arrive à Noël 1919. Le père découvre éberlué que son gamin sait déjà conduire. Vite et avec adresse. Les gendarmes ferment les yeux au passage du chenapan. À ses 16 ans, un permis de conduire lui est accordé à titre exceptionnel.
Lorsque Ferdinand décide de voler de ses propres ailes, créant un bureau d’études en 1931 à Stuttgart, son fils en devient l’un des principaux collaborateurs. En 1948, pendant que le paternel est prisonnier de guerre, Ferry concrétise son rêve en fondant une marque de voitures de sport portant son nom. Avec sa femme Dorothea, il aura quatre garçons: Ferdinand-Alexander, Gerhard, Hans-Peter et Wolfgang. C’est cette aventure que nous avons pu revivre pendant une semaine, sous escorte d’une escouade de 356 et de 911, les premiers modèles de la marque allemande.
DE LA SUISSE À L’AUTRICHE EN PASSANT PAR L’ALLEMAGNE
Notre périple débute à l’hôtel Traube Tonbach, niché au cœur de la forêt Noire, à Baiersbronn. Idéalement placée entre Strasbourg et le siège de Porsche à Stuttgart-Zuffenhausen, cette station réputée est devenue l’une des escales favorites des essayeurs du constructeur allemand.
Devant nous se profilent cinq journées riches en surprises et en émotions et 1 200 km d’un road-book à suivre sur un GPS nomade TomTom. Le premier jour, l’incroyable caravane de vingt Porsche glisse vers la rive sud du lac de Constance, en Suisse. Nous faisons halte chez Christoph Tanner, le spécialiste de renommée mondiale de la 356. Depuis 1980, dans son petit atelier, il a restauré plus d’une quarantaine de véhicules.
Les décors fastueux de l’Autriche
Le deuxième jour, notre convoi s’enfonce en Autriche. Du moins le croit-on. Le tracé dessine des zigzags, au point de ne plus savoir très bien si nous sommes en Allemagne ou en Autriche.
Dominant la campagne depuis son éperon rocheux perché à 200 mètres de haut, le château de Neuschwanstein, fantaisie architecturale voulue par Louis II de Bavière et digne d’un décor de Walt Disney, livre la réponse. De retour en Autriche, nos regards sont attirés par les verts pâturages à perte de vue. Au pays d’Heidi, les champs donnent l’impression d’avoir été peignés. C’est beau. C’est propre. On devrait en prendre de la graine.
Guidés par le TomTom
Le troisième jour, l’itinéraire visite les hauts lieux des compétitions de ski. Après une pause devant la piste de saut de Garmisch-Partenkirschen inaugurée pour les Jeux d’hiver de 1936, les Porsche traversent Kitzbühel. Des routes que Ferry Porsche a beaucoup empruntées au volant de prototypes de la Coccinelle, la voiture du peuple (Volkswagen en allemand) commandée par le gouvernement allemand à Ferdinand Porsche. Comme Ferry au cours des années 30, notre chemin s’arrête à Zell am See, sorte d’Annecy autrichien.
Créée au VIIIe siècle par des moines de l’église de Salzburg, cette petite localité de la région du Pinzgau, réputée pour la clarté cristalline de son lac, le vert profond des prairies et ses sommets enneigés, ne tarde pas à devenir le fief des familles Porsche et Piëch.
Le professeur Ferdinand Porsche acquiert en 1938 le Schüttgut, une ferme s’étendant sur un parc de plusieurs hectares à l’écart de la ville. La propriété de plus de 600 ans se compose d’un chalet principal et de deux autres grandes bâtisses. Pendant la guerre, le Schüttgut devient le refuge de la famille. Les enfants de Louise et de Ferry y grandissent. Le domaine est de toutes les occasions.
En 1954, il est le théâtre d’une réception des cadres de la maison Porsche. Au début des années 1970, Ferry, devenu le patriarche de la famille depuis le décès de son père Ferdinand en 1951, y convoque les membres de la famille. L’air de la montagne et les souvenirs d’enfance, pense-t-il, vont apaiser les tensions entre les Porsche et les Piëch. Le plus doué d’entre eux, Ferdinand Karl, cristallise les discordes. Non content d’avoir englouti des sommes considérables dans le programme 917, il a une liaison avec Marlene, la femme de son cousin Gerd. Rien ne se passe comme prévu: Ferry décide que plus aucun membre de la famille ne travaillerait chez Porsche. C’est pourquoi Ferdinand-Alexander dit Butzi, l’auteur des lignes de la 911, installe son studio Porsche Design à Zell am See.
Quant au Schüttgut, il appartient désormais à Wolfgang, le benjamin des fils de Ferry. Privilège réservé aux amis Porsche, nous avons pu pénétrer dans l’enceinte de ce domaine abritant, dans le troisième bâtiment, sa collection personnelle. Son parc recèle tous les modèles dont pourrait rêver un porschiste. Mais pas seulement. Certains véhicules racontent l’aventure familiale. Avant de quitter le berceau des Porsche, nous nous recueillons quelques instants devant la sépulture des ancêtres. Ferdinand et son épouse reposent ici en compagnie de leur fils Ferry, de sa femme et de son fils Butzi mais également de leur fille Louise, de son mari Anton et de leur fille Louise.
LA PASSION DE LA VITESSE
L’histoire de la famille se poursuit de l’autre côté de Zell am See, au château de Prielau. Sa silhouette se dresse au bout d’une impasse, dans la clairière d’une forêt. Wolfgang en est propriétaire depuis 1987. Les Porsche ont pris l’habitude d’y organiser de grandes réceptions. Au début de l’automne 1994, Louise (90 ans) et son frère Ferry (85 ans) y célèbrent leurs anniversaires. L’événement baptisé «Fête de la Grange» a été marqué par la remise d’une maquette du tracteur Porsche diesel Super L de 1961 à chaque invité. C’est dans ce havre de paix comptant douze chambres que nous résidons ce soir-là. Le bijou de la famille est la suite numéro 10, naguère le domicile des Porsche. La première évocation de cette maison bâtie dans le style typique de la région du Pinzgau remonte à 1425. C’est Christoph Perner von Rettenwerth qui lui donna en 1560 sa forme actuelle. En 1932, Prielau passa entre les mains de la veuve du poète autrichien Hugo von Hofmannsthal. Les époux Mayer veillent sur cette perle. Alors que Anette gère l’hôtel, son mari Andreas veille sur le restaurant gastronomique Mayer’s, l’une des meilleures tables autrichiennes. Le gibier provient de la propre chasse des Porsche.
Le quatrième jour promet de nouvelles émotions. Notre TomTom nous conduit à 136 km de là, à Gmünd im Kärnten, en passant par le Glossglockner, le deuxième sommet le plus élevé des Alpes. Longue de 48 km, cette route en lacets culminant à 3 798 m d’altitude est un morceau de bravoure. C’était le terrain favori des Porsche pour les essais et la mise au point de la Coccinelle et de la 356. Pour échapper aux attaques aériennes pendant la Seconde Guerre mondiale, Ferdinand et Ferry avaient déménagé leur activité dans une scierie de la petite bourgade fortifiée de Carinthie. Ils rentraient au Schüttgut le week-end. Wolfgang se souvient «que son père s’arrêtait en chemin pour nous prévenir qu’il allait franchir le col». Parfois, les enfants Porsche et Piëch étaient autorisés à aller à Gmünd. Wolfgang avoue que les virages le rendaient nauséeux. Son père était obligé de s’arrêter régulièrement.
Des installations Porsche sur la route de la Malta où ont été produits des treuils destinés aux machines agricoles et aux remontées agricoles mais aussi les Porsche 356, il ne reste plus qu’une seule baraque en bois. Gmünd vaut aujourd’hui pour son musée Porsche, le seul reconnu officiellement par le constructeur. L’antiquaire Helmut Pfeifhofer l’a ouvert en 1982. Cet enfant du pays raconte que le professeur ne faisait pas le poids quand une Porsche passait devant l’école. «Nous avions le nez collé à la fenêtre.» Son musée comporte quelques curiosités en plus de la vingtaine de voitures: la table à dessin et le bureau des Porsche. À dire vrai, Gmünd n’a rien de riant et sa visite ne vaut que parce qu’il s’agit du fief de la marque. Nous sommes loin d’être au bout de nos surprises.
Le cinquième jour nous amène sur les terres de Ernst Piëch et de Hans-Peter Porsche. Le premier a ouvert au public à Mattsee, dans la banlieue nord de Salzburg, un musée à la gloire de son grand-père Ferdinand Porsche. Spécificité des lieux: la quarantaine de véhicules raconte la première vie de la famille Porsche avant la naissance de la marque Porsche en 1948. Toujours aussi alerte malgré ses 90 ans, l’aîné de la troisième génération des Porsche nous en a appris plus en une matinée que tous les livres. Tout commence par l’invention du moteur électrique dans le moyeu. L’électricité, produite par deux moteurs à un cylindre, entraîne un générateur, et non directement l’essieu. Ce concept se concrétise avec la Löhner-Porsche récompensée en 1900 de la médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris. Le professeur Porsche était en avance sur son temps. Il aura d’autres occasions de le démontrer. Ernst Piëch nous apprend que sa maman adorait conduire. Vite, comme tous les Porsche. Il possède la première voiture offerte à sa mère, une Austro-Daimler. On découvre que toute la famille a roulé en Alfa Romeo, une berline 6C 2300 B Pescara offerte par le constructeur parce qu’elle était équipée des amortisseurs hydrauliques réglables, un système breveté Porsche. Le sous-sol du musée nous rappelle que Porsche a aussi conçu et produit des tracteurs sous son propre nom et celui d’Allgaier.
Nous contournons Salzburg pour nous rendre en territoire allemand, à quelques kilomètres de Berchtesgaden. À Anger, en bordure de l’autoroute qui mène à Munich, Hans-Peter Porsche a érigé un bâtiment moderne de 5 000 m2 abritant sa collection de jouets anciens et de modélisme ferroviaire. On ne sort pas indemne de ce musée qui nous ramène en enfance. C’est une folie. Hans-Peter avoue que tout a commencé en 1977 lorsqu’il a voulu construire pour son fils un chemin de fer miniature Marklin à l’échelle HO. Il souscrit un abonnement à la marque, reçoit tous les nouveaux modèles. En parallèle, il écume les brocantes et les ventes aux enchères. Il entasse des centaines de trains et de jouets en tôle dans le grenier de sa maison jusqu’au jour où il décide de partager ses trésors avec le public. La pièce la plus ancienne est une locomotive de 1865. Le cœur du musée TraumWerk met en scène un chemin de fer géant dans une pièce de 365 m2 et 5 m de haut. Pas moins de 180 trains miniatures répartis sur neuf circuits évoluent sur 2,7 km de rails au sein de décors vous faisant voyager à travers les paysages de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse. La scénographie fait vivre un cycle de 24 heures. On s’y croirait. Les routes sont reproduites. Des voitures circulent feux éclairés. Des Porsche bien sûr mais aussi des voitures du groupe Volkswagen. Quel que soit l’âge, on reste bouche bée devant un tel spectacle. Les Porsche n’ont décidément pas fini de nous surprendre.