Le second conflit mondial soldé, alors que la France signe l’arrêt de mort de ses marques de prestige en privilégiant la voiture populaire, l’Allemagne fait le pari de la voiture de sport et de luxe. Durant cette période où se fixe le monde nouveau, Mercedes rêve de retrouver le lustre des Flèches d’argent, ces monoplaces étoilées qui ont trusté les podiums au cours des années 1930. Alors que la production redémarre lentement à Stuttgart, le modèle 300 à moteur six cylindres en ligne 3 litres lancé en 1951 apparaît comme une base parfaite pour ce retour à la compétition soutenu par Rudolf Uhlenhaut, l’ancien directeur du département compétition passé aux études avancées, et Fritz Nallinger, le directeur technique.
En attendant l’engagement dans les grands prix avec la nouvelle réglementation de 1954, Mercedes décide de se roder en Sport, l’une des catégories phares des épreuves d’endurance. À l’automne de cette année-là, le staff de Mercedes entérine le cahier des charges de la nouvelle arme: le coupé 300 SL, S pour «Sport» et L pour «Leicht». Pour abaisser le centre de gravité, le moteur est incliné et la lubrification s’effectue désormais par carter sec. Le souci de l’allégement et de la rigidité passe par la confection d’une carrosserie en aluminium et d’un châssis tubulaire. Le treillis de tubes très fins remontant sur les côtés empêche la présence de portes à ouverture classique. Le designer Karl Wilfert opte pour des portières articulées très haut dans le pavillon mais descendant à peine au-dessus du niveau inférieur des vitres latérales. La Mercedes «papillon» est née. Et bien née puisqu’elle remporte l’édition 1952 des 24 Heures du Mans, au nez et à la barbe des ténors de l’époque. Avant qu’elles ne prennent la direction du musée et que le constructeur ne concentre ses efforts sur la préparation des Grands Prix, les 300 SL de compétition clôturent la saison en apothéose, réalisant un doublé au Mexique, à la Carrera Panamericana. Ce nouveau succès suscite l’admiration de nombreux Américains. Les commandes spontanées affluent. Mais, à l’usine, il est hors de question d’y répondre favorablement. Devenu importateur aux États-Unis de nombreuses marques européennes dont Mercedes, l’Autrichien Maximilian «Max» Hoffman va finir par faire plier le board allemand en signant un chèque d’acompte pour l’achat ferme de mille exemplaires de la version de série de la 300 SL. À Stuttgart, techniciens et ingénieurs s’affairent pour donner naissance, dans un délai record, à l’une des automobiles les plus désirables de l’histoire.
Mercedes dévoile son drôle d’oiseau
L’année 1958 démarre sur les chapeaux de roues. Les États-Unis partent à la conquête des ténèbres sous-marines avec le Nautilus, le premier sous-marin nucléaire ; Mercedes dévoile son drôle d’oiseau, le 6 février, sous les projecteurs du salon de New York. En dehors des bourrelets au-dessus des passages de roue, des bossages de capot, de quelques détails de finition chromés et d’un assouplissement à peine perceptible des lignes, le modèle de série préserve l’allure générale de la voiture de course mais abandonne l’aluminium au profit d’une coque en acier. Avec son six-cylindres de 2996 cm3 débitant 215 chevaux grâce au renfort de l’injection directe d’essence, une première mondiale, ce coupé hors norme égale les pur-sang italiens de Ferrari et Maserati. Il est donné pour une vitesse de pointe d’au moins 235 km/h. Autre originalité: le volant bascule à l’horizontale pour dégager l’accès. Cette automobile fascinante reste un rêve inaccessible. Elle vaut le prix exorbitant de plus de deux Jaguar XK140, soit 7500 dollars aux États-Unis. En France, bien que sa commercialisation ne débute qu’en 1955, la 300 SL est la vedette incontestée du Salon de l’auto qui se tient sous la verrière du Grand Palais. L’exposition parisienne est une occasion de s’évader d’une période de désordre dominée par la guerre froide et des conflits régionaux permanents. Le monde se fissure de partout.
Fin du cauchemar en Indochine
Au début de l’année, la prise de fonctions à l’Élysée de René Coty est-elle de nature à apaiser la République française et à restaurer le pouvoir exécutif? Sur fond de tensions avec le bloc de l’Est, la puissance coloniale française est mise à mal. La France est enlisée dans une série de conflits avec ses colonies qui aspirent à l’indépendance. Commencée en 1946, la guerre d’Indochine se cristallise à Diên Biên Phu et aboutit à la défaite française le 7 mai. Parmi les principales personnalités politiques opposées à l’engagement militaire français, Pierre Mendès France devient président du Conseil le 18 juin, en plus de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères. Son gouvernement prend des allures d’union nationale, associant Edgar Faure, radical, le général Koenig et Jacques Chaban-Delmas, gaullistes, et François Mitterrand, Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). La guerre d’Indochine est à peine soldée à la conférence de Genève que des incendies couvent en Afrique. Faute de pouvoir rétablir l’ordre en Tunisie, Mendès France engage résolument le pays sur la voie de l’indépendance. À Carthage, le président du Conseil déclare: «L’autonomie interne de l’État tunisien est reconnue et proclamée.» À l’automne, l’Algérie s’embrase. Une attaque perpétrée par un commando du FLN contre un autocar qui assure la ligne Biskra-Arris transforme le 1er novembre en Toussaint rouge. On dénombre plusieurs morts, dont l’instituteur métropolitain Guy Monnerot. Cet attentat marque le début de l’insurrection armée en Algérie. Ces événements ont encore peu de retentissement dans l’Hexagone. Pendant que les intellectuels débattent de l’influence marxiste dans la société, les Français suivent le procès de Gaston Dominici, coupable d’un triple assassinat. Au terme de douze jours de débats, le paysan de 78 ans est condamné à mort.
L’Amérique, elle, se passionne pour le Boeing 707, le premier avion de ligne à réaction de la firme de Seattle, pour Fenêtre sur cour, le nouveau film à suspense d’Alfred Hitchcock, mais aussi pour un jeune de 19 ans, Elvis Aaron Presley. Pour l’anniversaire de sa mère, ce camionneur, qui chante dans la chorale de l’église que fréquentent ses parents, a enregistré dans un studio de Memphis la chanson That’s All Right Mama. C’est une révélation. Rescapé de deux accidents d’avion au début de l’année, l’écrivain Ernest Hemingway obtient le prix Nobel de littérature. La fin de l’année est aussi marquée par la disparition d’Henri Matisse, considéré comme le maître du fauvisme.
C’est auprès d’un autre artiste de talent, Andy Warhol, que Mercedes fait passer la 300 SL à la postérité. Les peintures resteront toutefois inachevées en raison du décès brutal du maître du pop art, en février 1987. Quant aux portes papillon, la firme à l’étoile les a ressuscitées avec le coupé SLS AMG de 2009.