«Bonjour, je suis la Renault 5, on m’appelle aussi Supercar…» Le mardi 29 février 1972 débute la très colorée campagne de lancement d’une nouvelle petite voiture badgée du losange. Sur le parking des concessions, près de deux mille exemplaires, orange et vert pomme, décorés avec des yeux sur les phares et des bulles de bandes dessinées sur les portières, lancent cette aimable invitation: «Je suis la Renault 5, prenez mon volant.» Sceptiques quant aux chances de succès de cette voiture à seulement deux portes, les responsables de la Régie Renault ont laissé l’agence Publicis libre de l’incarner en un sympathique personnage de BD.
En vertu d’un accord passé avec Peugeot, Renault s’est engagé à ne pas produire de modèle à quatre portes, concurrent de la future 104. En contrepartie, la petite Peugeot n’aura pas de hayon. La Renault 5, avec son coffre dessiné pour engloutir le contenu d’un chariot de supermarché, est plus pratique à charger. Autre innovation, des pare-chocs en polyester armé conçus pour résister à un choc jusqu’à 7 km/h. Ces boucliers accentuent la vocation urbaine de cette petite auto longue de 3,50 m et, parfaitement intégrés dans une carrosserie aux formes souples, ils suggèrent une douceur toute féminine.
Le président de la Régie, Pierre Dreyfus, pourtant plus attaché aux aspects pratiques qu’à l’apparence, reconnaît que la 5 «est marrante et sympathique». À partir d’une base mécanique vieillotte, puisqu’il s’agit de la Renault 4, le styliste Michel Boué a rajeuni l’esprit de la citadine. L’intérieur n’est pas en reste avec une planche de bord capitonnée, des cadrans carrés et ses sièges revêtus de Skaï noir, caramel ou orange.
«Fille de Mai 1968»
Le professeur d’histoire contemporaine Jean-Louis Loubet, auteur de nombreux ouvrages sur les constructeurs français, n’hésite pas à qualifier la Renault 5 de «fille de Mai 1968». Il nous replonge dans l’euphorie qui régnait à l’époque: «Les usines n’arrivent pas à suivre le carnet de commandes qui se remplit au-delà des prévisions, dont un tiers provient de clients jeunes, un autre de femmes! Quant au tiers restant, la surprise est de taille: ces clients sont séduits par le vent de fraîcheur qu’apporte cette voiture, cette illustration de la rupture sociétale marquée par Mai 1968. La 5 est donc la voiture des jeunes et de ceux qui le restent, des biberons et des pattes d’ef. Elle est transgénérationnelle.»
Plusieurs générations se retrouveront également devant le «Grand Échiquier» de Jacques Chancel ou les concerts des Rolling Stones qui, cette année-là, partent en Exile on Main Street. À l’aube des années soixante-dix, le grand écran prend des couleurs effrayantes avec Orange mécanique de Stanley Kubrick, voire sulfureuses avec Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci. Mais l’actualité de cette année 1972 est, hélas, émaillée de plusieurs événements dramatiques.
Le dimanche 30 janvier restera dans l’Histoire comme le «Bloody Sunday». Une manifestation est organisée à Londonderry par l’association nord-irlandaise pour les droits civiques (NICRA) qui lutte depuis la fin des années 1960 contre la discrimination faite à l’encontre de la minorité catholique d’Irlande du Nord. Le rassemblement vire au drame quand le 1er bataillon du régiment de parachutistes du Royaume-Uni, dépêché sur place pour contenir les possibles émeutiers, ouvre le feu sur la foule, tuant treize personnes dont sept adolescents.
Tout aussi meurtrier, le 5 septembre, un groupe de terroristes appartenant à l’organisation palestinienne Septembre noir pénètre dans le village olympique des Jeux qui se tiennent à Munich. Il prend en otage la délégation d’athlètes israéliens et réclame en échange la libération de 234 prisonniers palestiniens détenus en Israël. La prise d’otages, qui se termine le lendemain sur le tarmac d’une base militaire, se solde par la mort des onze athlètes israéliens, de cinq des huit terroristes palestiniens et d’un policier ouest-allemand. Les tragiques événements de ces derniers jours nous rappellent que le conflit israëlo-palestinien reste d’une cuisante actualité.
1972 est malgré tout source d’espoirs. Le 29 février, une photo immortalise une poignée de main entre Mao Zedong et Richard Nixon. La visite du président américain en Chine constitue une étape importante dans le processus de normalisation des relations diplomatiques entre les États-Unis et la République populaire. Las pour Nixon, son image sera définitivement écornée quand, le 17 juin, cinq hommes sont arrêtés alors qu’ils sont en train d’installer des micros à l’intérieur des bureaux du Parti démocratique dans le complexe du Watergate, à Washington. Les soupçons se portent immédiatement sur l’Administration Nixon et conduiront, deux ans plus tard, à la démission du président.
Un destin international
Le 20 octobre, la capitale française accueille le sommet des chefs d’État d’une Europe qui compte désormais neuf membres. Les Français, invités à se rendre aux urnes par le président Georges Pompidou, ont voté le 23 avril à 68% en faveur de l’élargissement de la Communauté économique européenne au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark. Cette Europe des neuf ne sera officialisée que le 1er janvier 1973, mais le communiqué publié à l’issue de ce sommet fait déjà part d’une volonté de parvenir à la création d’une Union européenne avant 1980.
L’Europe se construit aussi dans les airs. Fondé en 1970, Airbus Industrie, un consortium de plusieurs avionneurs européens, se prépare à produire l’A 300, premier biréacteur à large fuselage au monde, qui effectue son vol inaugural le 28 octobre. La phénoménale Renault 5 connaîtra elle aussi un destin international. Non contente de sillonner l’Europe, elle va fouler le bitume du Mexique, du Venezuela, du Maroc, de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, de l’Iran et même des États-Unis. Renault est allé jusqu’à concevoir une variante spéciale, à gros pare-chocs, baptisée «Le Car», pour l’Amérique du Nord. Au terme de douze ans de carrière, durant lesquels elle est demeurée la voiture française la plus vendue, la populaire Renault 5, fabriquée à plus de 5,5 millions d’exemplaires, passe le témoin à une certaine Supercinq.