C’est un miracle. Les trois Alfa Romeo BAT, pour Berlina Aerodinamica Tecnica, sont sur le marché. Elles sont les vedettes d’une vente organisée par la maison RM Sotheby’s mercredi prochain à New York. Les BAT, qui comptent parmi les créations les plus extravagantes de la carrosserie automobile du XXe siècle, sont estimées entre 14 et 20 millions de dollars. Ces trois machines portent la signature d’un seul homme: Franco Scaglione. Petit et discret, ce Florentin n’était pas destiné à travailler dans l’automobile. Encore moins chez un carrossier. Diplômé d’une école d’ingénieur, il avait commencé sa carrière dans l’aéronautique mais il faut croire que la voiture le fascinait puisque, après avoir proposé ses services à Pininfarina, il entrait chez Bertone. Nuccio Bertone n’allait pas le regretter: Scaglione avait des idées et du talent. Au début des années 1950, pendant que les carrossiers français disparaissent un à un, la carrosserie italienne s’affirme. Portée par Pininfarina, Bertone, Touring, Zagato, Ghia et Vignale, elle connaîtra bientôt son âge d’or.
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Initiée par des Allemands et des Français avant la guerre, l’aérodynamique est au centre des préoccupations des ingénieurs. En Italie, Orazio Satta Puliga se montre le plus déterminé en la matière. En 1952, il avait demandé à Bertone de concevoir la fameuse Disco Volante. L’année suivante, il commandita le programme Berlina Aerodinamica Tecnica qui avait pour mission de tester et optimiser les qualités dynamiques des carrosseries fermées. Scaglione n’avait pas de formation artistique mais il se mit à dessiner. Il inventa un nouveau vocabulaire stylistique autour de formes qui empruntaient leurs références à l’univers aéronautique et à la démesure des créations américaines.
Présentée au salon de Turin 1953, BAT 5 répond à la dénomination de «dream car» avec son allure de bête sauvage, ses roues carénées, sa carrosserie fuselée et cintrée, la lunette arrière panoramique en deux parties et les ailerons arrière recourbés comme les ailes d’un oiseau apeuré. Excessive à bien des égards, la BAT 5 reposait sur la mécanique de l’Alfa Romeo 1900 Sprint.
Pour la BAT 7 qui suivit en avril 1954, la firme milanaise fournit toujours la mécanique, mais Scaglione fit preuve d’une créativité encore plus débridée. La BAT bleu turquoise se distingue par un regard animal avec ses feux dans la calandre et surtout par des lignes plus amples. Scaglione est allé encore plus loin dans le traitement des ailerons. Leurs volutes arrière se recroquevillent, au point de sembler toucher l’épine dorsale qui traverse la lunette arrière. Un an plus tard, Bertone présenta la BAT 9. Franco Scaglione s’était assagi. Les roues se découvraient et l’avant arborait la calandre Alfa Romeo traditionnelle. Quant aux ailerons, ils avaient perdu leur exubérance.
Avec la trilogie des BAT, Bertone n’avait pas seulement réussi à marquer les esprits. Il s’était imposé comme un styliste qui compte. Cela lui vaudra d’attirer quelques grands designers et de signer des chefs-d’œuvre. De son côté, Scaglione quitta Bertone en 1959. On lui doit le prototype de la première Lamborghini et l’Alfa Romeo 33 Stradale. Ce créateur de génie mourut dans l’indifférence en 1980. La vente des BAT remet à l’honneur son talent.