Nom de code: Mission H24. À la veille de son centenaire, la fameuse épreuve d’endurance renoue avec sa vocation de banc d’essai des nouvelles technologies. Dans cette perspective, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) a chargé un groupe de travail constitué de constructeurs et d’équipementiers de définir la réglementation technique concernant les voitures à hydrogène. «Nous espérons avoir au moins trois voitures au départ en 2024», dit Bernard Niclot, le responsable du programme au sein de l’ACO. En parallèle, une voiture de course laboratoire conçue et exploitée par la société Green GT multiplie les essais. Elle peut s’appuyer sur l’implication de plusieurs équipementiers prestigieux: Michelin pour les pneumatiques ; Symbio, un joint-venture entre Michelin et Faurecia, pour la pile à combustible ; Total pour la fourniture de l’hydrogène et le développement de la première station mobile au monde ; Plastic Omnium pour les réservoirs.
Poids et autonomie
Depuis 2018, Olivier Lombard et Norman Nato, deux espoirs du sport automobile, ont déjà accompli dix mille kilomètres au volant de la LMPH2G, un véritable prototype à châssis carbone que nous avons pu piloter sur le circuit de Lurcy-Lévis, près de Moulins. Sur place, Jean-Michel Bouresche, directeur des opérations du programme, fait grise mine. «Cela n’était jamais arrivé. Un des quatre moteurs électriques a rendu l’âme, obligeant à en désactiver un deuxième», dit-il. La preuve que les acteurs de ce projet apprennent en marchant. Au lieu de 500 kW (680 ch), la puissance est réduite de moitié. Au volant, les performances impressionnent beaucoup moins, d’autant que ce proto de développement pèse 1,4 tonne. On touche là l’un des défis du projet: la réduction du poids. Une nouvelle voiture, la H24, est prête à prendre la piste. Grâce aux progrès réalisés sur la transmission (réducteur) et le passage à deux moteurs, 200 kg ont été gagnés. Elle sera engagée l’an prochain dans le championnat Michelin Le Mans Cup.
S’installer à bord de ce véhicule fermé ressemblant plus à un prototype du Mans type LMP3 qu’à une GT impose de déployer des talents de gymnaste. Il faut enjamber les pontons dans lesquels sont logés les réservoirs à hydrogène en prenant appui sur une barre de l’arceau de sécurité, près du sommet de la portière. Dans un seul élan, après avoir posé un pied sur la coque du siège, on s’introduit dans l’habitacle en n’oubliant pas de baisser la tête déjà équipée du casque. Il ne reste plus qu’à laisser glisser les jambes au fond du cockpit pour adopter une position identique à celle d’une monoplace. On se laisse alors guider par les ingénieurs. La LMPH2G doit respecter une procédure de démarrage particulière. Le réveil de la pile à combustible composée de quatre stacks de 230 cellules s’apparente à une batterie de sèche-cheveux fonctionnant en même temps. Bouton vert des systèmes activé: Pierre-Lou Fleury, le team-manager, donne l’autorisation de sortir des stands. Activation de la pile à combustible, pression sur un bouton «D» situé sur le côté gauche du volant. On lâche le pied du frein, la voiture s’anime doucement, dans le bruit de la machinerie électrique. Ceux qui ont été bercés au son du V12 Matra, du quadrirotor Mazda ou du V10 Peugeot vont déchanter. Une voiture à pile combustible émet sensiblement le même bruit qu’une voiture électrique qui s’apparente à un chuintement.
Outre l’absence de bruit, le plus déroutant au volant de ce bolide qui ne rejette que de l’eau, c’est de se dispenser de boîte de vitesses. Évidemment, cela enlève une contrainte mais c’est au détriment du frein moteur. La possibilité pour le pilote de moduler la régénération sur plusieurs niveaux compense l’absence de frein moteur. Il faut alors tout le métier du pilote pour gérer ces paramètres sans déséquilibrer l’auto au freinage. En complément du freinage électrique, le pilote peut compter sur un système électro-hydraulique sur l’arrière. Piloter un proto à hydrogène impose de revoir ses automatismes. Il faut en permanence penser à économiser de l’énergie en maximisant la régénération de la batterie, fonctionnant comme un Kers de Formule 1. Situés derrière le pilote, ces accumulateurs peuvent fournir jusqu’à 260 kW à l’accélération. A la décélération, la batterie peut être rechargée par la pile à combustible qui joue alors le rôle de générateur. L’autonomie est l’autre enjeu du projet. En 2024, la voiture à hydrogène devra être capable de rivaliser avec le reste du plateau. Pour le moment, ce prototype est capable de boucler 12 tours du circuit de Lurcy-Lévis avec le réservoir pouvant contenir 8,6 kg d’hydrogène . C’est insuffisant mais la technologie réalise des progrès spectaculaires. A ce stade de développement, un plein d’hydrogène prend par exemple 3 minutes. L’objectif est de descendre à 2 minutes, dans l’optique des 24 Heures du Mans 2024. La course contre la montre est engagée.