D’où vient ce goût du blanc? L’année dernière encore, selon les statistiques des fabricants de peinture, cette teinte virginale est restée la plus répandue dans le monde entier. Au cours de la dernière décennie, le blanc n’a cessé de grignoter des parts de marché au noir et au gris, au point de représenter la majeure partie des couleurs achromatiques. Au niveau mondial, le blanc caracole donc en tête des coloris préférés par les automobilistes avec 40% de pénétration, contre 17% pour le noir, 13% pour le gris et 8% pour l’argent (source BASF). S’il est surreprésenté en Asie, flirtant avec les 50%, il connaît moins de succès auprès des Européens (28%), qui lui préfèrent la palette des gris (30%).
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Le blanc a progressé au rythme du succès des voitures électrifiées. Le regard que l’on porte sur cette teinte a changé. Décrié hier parce qu’il était essentiellement associé aux voitures achetées par les sociétés et aux particuliers qui rechignaient à payer un supplément pour une peinture métallisée, il est devenu à la mode. La photographie du paysage automobile montre, en effet, que les voitures hybrides rechargeables et 100% électrique recourent très fréquemment à cette teinte. «La place prépondérante prise par les ventes sociétés sur le marché explique sa forte pénétration. Les entreprises ne prennent pas le risque de choisir des teintes colorées plus difficiles à revendre», assure Thierry Leclerc, de BASF. Selon Benoît Morin, responsable du département couleurs et matières de Peugeot, «le blanc véhicule la pureté et la propreté. Il fait également consommer moins d’énergie. À la différence des teintes sombres, il reflète la lumière et n’absorbe pas la chaleur.» On comprend ainsi pourquoi il est plébiscité dans les régions les plus chaudes du globe. D’une manière plus générale, ce succès mondial s’inscrit dans une tendance de fond.
Tendance à l’épuration
Les bureaux de style des constructeurs se nourrissent de l’influence du monde extérieur et des cahiers de tendance édités par les studios de design. «Ce sont les éditeurs de textile qui inspirent les marques automobiles», dit l’expert de BASF. «Sentir l’air du temps fait partie intégrante de notre métier. Chez PSA, nous allons partout où nous pouvons rencontrer des courants de fond», explique Jean-Pierre Ploué, le patron du design des marques du groupe français. Depuis quelques années, l’univers de la décoration intérieure et du mobilier contemporain s’en est également emparé. Dans ces domaines, ses vertus sont réputées: outre le fait d’agrandir, d’éclaircir, le blanc simplifie la perception de l’espace. La tendance à l’épuration lui profite aussi. L’automobile se montre le miroir du monde qui nous entoure. «D’une certaine manière, les objets du quotidien orientent nos choix», assure Benoît Morin. De ce point de vue, le succès des objets technologiques comme les smartphones, notamment les produits Apple, a eu une incidence. Selon certains experts, le blanc est en parfaite adéquation avec notre époque, où besoin d’équilibre et recherche revendiquée de douceur s’associent. Vecteur de sérénité, il est passé, en l’espace de quelques années, d’une image dégradée à l’incarnation de la sophistication.
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De fait, il se revendique de l’univers du luxe et de la technicité. Le blanc met également en valeur les formes, les arêtes et les volumes et offre une liberté extrême de composition, s’associant facilement à toutes les autres couleurs. Devenu une couleur à part entière et non le reflet d’une absence de caractère et d’originalité, le blanc se conjugue au pluriel. Le Japon en compte quatre nuances. «À côté du blanc opaque classique, Peugeot propose en option un blanc nacré tricouche», dit Benoît Morin.
L’avenir appartient-il au blanc? S’il ne devrait plus progresser qu’à la marge, il reste un basique de la palette des constructeurs. Tombées en désuétude, sauf sur les modèles des segments inférieurs qui s’y prêtent bien, les teintes chromatiques opèrent un retour en fanfare. Le phénomène s’observe à peu près partout. Chez Peugeot, où le nuancier de couleurs a été réduit à sept ou huit propositions, au lieu de onze auparavant, la stratégie est originale.
«Ces dernières années, aiguillonnés par Carlos Tavares, nous avons travaillé pour que nos véhicules se voient et se sortent du lot. Nous avons développé des teintes colorées que nous proposons gratuitement. C’est le cas du jaune Faro de la 208 et de l’orange Fusion de la 2008. Notre démarche va se poursuivre avec la prochaine 308. Si les teintes neutres sont associées au haut de gamme, nous testons aussi d’autres voies. Les verts nous intéressent beaucoup, même si en Europe ce coloris souffre d’a priori. Dans tous les cas, c’est un sacré challenge, car une nouvelle teinte découle de trois orientations», explique le designer de la marque sochalienne. Derrière les couleurs achromatiques, le rouge et le bleu s’arrogent un peu moins de 10% du marché mondial. En fonction des régions du monde et à la faveur de l’injection de pigments polarisant et trichromique qui favorisent le dichroïsme, on peut s’attendre à une plus grande richesse de couleurs. Une évolution qui pourrait être nuancée par l’arrivée de la voiture autonome. Chez BASF, on prévient d’ores et déjà que les radars Lidar et les capteurs, qui vont permettre à ces véhicules de se situer dans leur environnement et de communiquer avec les infrastructures et les autres usagers de la route, ne seraient pas compatibles avec certaines couleurs.