L’inflation rattrape les flottes comme elle empoisonne de nombreux secteurs d’activité. Tout d’abord, le prix du carburant joue au yoyo, sans logique prévisible. Avec ces mouvements incontrôlés, les gestionnaires de parcs n’arrivent pas à anticiper l’évolution de ce poste de dépenses, l’un des principaux, puisqu’il représente près de 16 % du coût d’utilisation d’un véhicule d’entreprise, selon l’Arval Mobility Observatory, think-tank du groupe BNP Paribas. Selon une étude réalisée par cette structure, les dépenses de carburant des entreprises ont augmenté de 21,53 % en 2021 et atteignent leur plus haut depuis 2012 et le début des relevés effectués par ce groupe de réflexion.
Le poste carburant ne doit pas occulter l’augmentation du prix des matières premières. Le prix des véhicules grimpe inexorablement et contraint les entreprises à revoir les tarifs des modèles référencés à la hausse. «Les marges de négociation disparaissent, et je ne sais pas si les grilles actuelles seront maintenues l’an prochain», s’inquiète Chloé Monthieu, experte flotte, véhicules et mobilité au sein du groupe Epsa, cabinet conseil dont l’un des départements se focalise sur les achats.
L’envolée des prix et les difficultés d’approvisionnement conduisent parfois à la rupture des accords tripartites négociés entre constructeurs automobiles, loueurs longue durée et entreprises. Les remises négociées en échange d’importants volumes d’achat disparaissent subitement et provoquent un renchérissement du coût des parcs autos.
Parmi les vents contraires, les entreprises doivent également affronter la pénurie de semi-conducteurs. «Les véhicules électriques embarquent le triple de semi-conducteurs que des véhicules thermiques équivalents, explique Marc Mechaï, directeur exécutif, responsable du secteur automobile chez Accenture. Quant aux véhicules premium, avec leurs systèmes d’assistance à la conduite, de sécurité et d’infodivertissement, ils en mobilisent dix fois plus. Seulement, l’industrie automobile ne représente que 10 % du marché des semi-conducteurs. Pour les producteurs, et face à la téléphonie et à la micro-informatique, elle n’est pas prioritaire.»
Sans composants électroniques, il est devenu difficile d’honorer les commandes. Certains constructeurs préviennent leurs clients de leur incapacité à livrer tel ou tel véhicule. Les délais de livraison varient désormais de quatre mois à un an avec une moyenne de sept mois.
Filiale de la Société générale, ALD Automotive finance et gère une flotte de 1,448 million de véhicules dans le monde. Pour ses clients, les délais de livraison atteignent 200 à 220 jours.
Plus affectées par la crise des microprocesseurs, les flottes ne figurent pas au rang des priorités pour les constructeurs automobiles. Disposant de moins de stocks, les marques privilégient les clientèles auprès desquelles elles réalisent davantage de marge, principalement les particuliers. Dans ces conditions, les protocoles signés avec les loueurs de longue durée sont renégociés et les remises fondent comme neige au soleil.
Les loueurs de courte durée souffrent encore davantage que les entreprises. Pour sortir de l’impasse, ils font appel aux constructeurs chinois, dont les véhicules sont moins chers tout en restant bien équipés. Sixt s’est ainsi engagé à acheter 100 000 véhicules à BYD d’ici 2028. Autre initiative, Hertz Corse s’est associé à Aiways pour électrifier sa flotte grâce à la livraison de 500 U5, son SUV électrique. «Si les Chinois entrent en masse sur le territoire européen, à travers la location courte et longue durée, on peut s’attendre à une nouvelle guerre des prix», anticipe Marc Mechaï.
Aux États-Unis, une autre opération interroge l’univers des flottes automobiles. En 2019, le fond Climate Pledge de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a investi dans Rivian, constructeur américain de véhicules électriques. D’ici 2030, 100 000 fourgons zéro émission seront livrés au géant américain pour assurer ses livraisons. «Cette opération pourrait servir de modèle à des entreprises pour lesquelles la livraison est au cœur de leur modèle économique. La prise de participation permettrait de sécuriser leur approvisionnement en véhicules», explique Marc Mechaï.
Dans un contexte particulièrement compliqué, les entreprises doivent également négocier la transition énergétique. La loi d’orientation des mobilités (LOM), la loi climat et résilience et le cadre fiscal (lire l’encadré ci-dessous) les incitent fortement à verdir leur mobilité. La pression est renforcée par la montée en puissance des zones à faibles émissions (ZFE). Déjà déployés dans 14 agglomérations, ces territoires réservés aux véhicules les plus sobres concerneront toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici fin 2024.
Les entreprises réagissent et électrifient leurs parcs à vitesse grand V. Elles vont même au-delà des pourcentages de renouvellement exigés par la LOM (10 % à partir de 2022, 20 % à partir de 2024, 35 % à partir de 2027 et 50 % à partir de 2030). Chez ALD Automotive, les véhicules hybrides rechargeables et électriques représentent le tiers des commandes. Sur les neuf premiers mois de l’année, les immatriculations de véhicules électriques auprès des entreprises progressent de 21 %. Cette technologie représente désormais 8,2 % du marché des flottes. Avec les hybrides, eux-mêmes en hausse de 5 %, les modèles électrifiés représentent 38,7 % des achats automobiles des professionnels. L’essence recule de 8 % pour une part de marché de 30,3 %, quand le diesel continue de décrocher avec une baisse de 26,3 %. Le gazole ne représente plus que 30 % des immatriculations des flottes d’entreprise.
Après avoir connu un pic, les ventes d’hybrides rechargeables retombent comme un soufflé. Présentée comme la panacée, cette technologie mi-thermique mi-électrique ne passe pas l’épreuve des faits. Pour des trajets quotidiens de 20 kilomètres et une recharge régulière, l’hybride rechargeable constitue une solution pertinente et permet aux conducteurs de disposer de l’autonomie du moteur thermique pour les vacances et le week-end. En revanche, lorsque les batteries restent déchargées, que le conducteur roule essentiellement sur autoroute et parcourt des dizaines de kilomètres chaque jour, les consommations s’envolent et, avec un surpoids de plusieurs centaines de kilogrammes, dépassent les consommations de modèles thermiques équivalents. Pour les flottes, l’hybride rechargeable représente une technologie de transition avant le basculement vers l’électrique. Aujourd’hui, le mouvement de balancier s’accélère.
Une fiscalité favorable à l’électrique
Deux millions de véhicules électriques en 2030. C’est l’objectif de production en France fixé par Emmanuel Macron lors de sa visite au Mondial de l’automobile qui s’est tenu courant octobre. Le président de la République a annoncé également le passage de 6 000 à 7 000 € pour le bonus écologique lié à l’achat d’un modèle zéro émission. Si cette mesure concerne les ménages les plus pauvres, les flottes ne sont pas oubliées. Même s’il a baissé le 1er juillet pour les personnes morales, le bonus atteint encore 3 000 € et sera maintenu en l’état au moins jusqu’à la fin de l’année. Quant aux hybrides rechargeables, le bonus de 1 000 €a été prolongé jusqu’au 31 décembre alors qu’il devait disparaître au 1er juillet.
Le bonus peut se cumuler avec la prime à la conversion, et les véhicules électriques ne paient pas de carte grise. Ils échappent également à la taxe annuelle sur les émissions de CO2 et à la taxe annuelle sur l’ancienneté des véhicules, les deux composantes de l’ancienne TVS (taxe sur les véhicules de société). Actuellement en vigueur, ces règles pourraient évoluer l’an prochain en fonction de la loi de finances 2023.