Le 15 juin 1969, les Français élisent un président de la République qui aime l’automobile! Il faut en profiter, ce sera le dernier. Si le dimanche, pour se rendre au marché de Montboudif, Georges Pompidou utilise sa politiquement correcte et frugale «4 L», il a une prédilection avouée pour sa Porsche 356 C quand il s’agit de rejoindre à toute allure sa propriété d’Orvilliers, en Île-de-France. À la suite du rejet du référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation, Charles de Gaulle a démissionné le 28 avril au cœur de la nuit. Alain Poher, président du Sénat, assura l’intérim en attendant la tenue des élections présidentielles. Georges Pompidou choisit pour chef du gouvernement un premier ministre âgé de 54 ans, Jacques Chaban-Delmas, qui va mettre en pratique son ambitieux projet de «nouvelle société» fondé sur la réforme et la concertation.
Un an après la tourmente de mai 1968, la France semble avoir retrouvé son calme. Après de longues semaines de grèves et d’occupations, les usines ont repris leur rythme. En mars, dans le cadre du Salon de l’automobile de Genève, Peugeot présente deux modèles marginaux qui comptent parmi les plus séduisants de la production française: les versions coupé et cabriolet de la 504. Ce lancement intervient six mois après la naissance de la berline qui s’inscrivait dans la suite logique des familiales de Peugeot. Cette bourgeoise, digne et sérieuse, n’adoptait aucune solution révolutionnaire, mais elle formait un ensemble homogène et soigné. Quatre freins à disque et quatre roues indépendantes constituaient les principales innovations techniques de la 504 par rapport à la 404, qui la devança.
Réalisés sur un empattement réduit d’une vingtaine de centimètres, le cabriolet et le coupé revendiquent un caractère plus dynamique que la berline. D’ailleurs, ils ont droit à un moteur à injection, alors que la berline doit se contenter d’une mécanique alimentée par carburateur. Toutefois, avec 103 ch, le propulseur de 1,8 litre de cylindrée n’a pas vraiment de prétention sportive. Le cabriolet ne peut pas recevoir la boîte automatique qui est disponible sur la berline, mais que l’on considère à cette époque comme un éteignoir pour les performances. En outre, le levier de vitesses est placé au plancher et non derrière le volant. Un autre signe qui laisse augurer un caractère sportif plus prononcé.
Une carrosserie dessinée par Pininfarina
L’atout majeur du coupé comme du cabriolet réside dans une carrosserie qui a été dessinée par le carrossier italien Pininfarina et qui est réalisée dans ses usines à Turin. Un gage d’exotisme et d’exclusivité. La collaboration entre Peugeot et Pinin Farina (en deux mots jusqu’en 1961) démarra en 1952. Elle déboucha sur la 403, à la suite de laquelle de nombreux modèles de la marque au lion seront confectionnés en Italie. Force est de constater que le cabriolet 504 arbore un style net et élégant qui porte l’indicible marque d’un maître carrossier.
À l’automne 1974, le coupé et le cabriolet 504 évolueront sensiblement en recevant un nouveau moteur V6 (2,7 litres, 136 ch) produit par la société franco-suédoise PRV (Peugeot-Renault-Volvo). Ce tempérament un peu plus fougueux fera écho à ses prestations sportives. Car, entre 1976 et 1979, l’élégant coupé se vautrera dans les boues africaines et glanera des victoires au Bandama en 1976 et 1978 et au Safari en 1978.
En 1969, La Marseillaise retentit souvent à l’issue des Grands Prix de Formule 1. Le pilote écossais Jackie Stewart décroche le titre de champion du monde au volant d’une Matra MS80. Cocorico à tempérer. Cette F1-là n’est plus cent pour cent française. Ken Tyrrell, son directeur sportif britannique, ne veut pas entendre parler du V12 français et mise tout sur le moteur Ford conçu chez Cosworth en Angleterre. Dans le même temps, Ferrari ne remporte pas un seul Grand Prix. Rien ne va plus à Maranello depuis la débâcle survenue aux 24 Heures du Mans deux ans auparavant. La défaite des 330 P4 a signé la fin d’une époque, l’artisanat et l’intuition s’effaçant désormais devant le professionnalisme et la haute technologie. Enzo Ferrari finit par accepter la prise de participation de 50 % de la Fiat dans la Sefac Ferrari. En juin, le Commendatore signe un accord de coopération avec Gianni Agnelli, le patron de Fiat, qui étend son empire en prenant aussi le contrôle, la même année, de Lancia et d’Alfa Romeo.
Le mouvement hippie aspire avec ingénuité à la paix et à la non-violence
Les mouvements qui ont ébranlé l’Occident en 1968 ont forcément laissé des traces. Le monde se trouve confronté à une profonde crise de conscience tandis que l’Amérique entreprend enfin le retrait total de ses forces du Vietnam. Dans le grand chambardement de la contestation, l’automobile stigmatise les effets délétères de la société de consommation. La génération issue du baby-boom exprime un malaise diffus qui cache une intime volonté de changer la vie. La voiture, emblématique des excès de la société, n’est plus l’objet de leur convoitise. Les mouvements libertaires s’esquissent à l’aune de la contestation ambiante. Les artistes en rendent compte à leur manière. En silence et avec force. La figuration narrative réagit au pop art. Regardée avec méfiance ou dégoût, l’automobile est un thème récurrent dans les œuvres de Bernard Rancillac, Peter Stämpfli, Erro…
Expression colorée du remue-ménage des années 1960, le mouvement hippie aspire avec ingénuité à la paix et à la non-violence. Les plus engagés prennent le chemin de Katmandou à bord de leur combi VW, une destination qu’emprunte André Cayatte pour raconter une épopée dramatisée par la drogue. Dans le sillage du festival de musique de Woodstock, le «Flower Power» éclôt. À Bethel, dans l’État de New York, ils sont tous là: Janis Joplin, Santana, Creadance Clearwater Revival, Crosby, Stills, Nash and Young, Joe Cocker, The Who, Joan Baez…
Autre ambiance à la Maison-Blanche, où Richard Nixon a pris le relais de Lyndon Johnson en janvier. Et autre image d’une Amérique conquérante qui fascine la terre entière dans la nuit du 21 juillet. Les astronautes d’Apollo 11, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, foulent le sol de la Lune dans la mer de la Tranquillité et font «un grand pas pour l’humanité».
À sa manière, l’Europe exprime elle aussi sa grandeur lorsque s’envole pour la première fois le Concorde, le 2 mars 1969. La vitesse est encore une marque de prestige. Mais plus pour longtemps. L’Europe prend conscience des problèmes d’insécurité routière. Le gouvernement français organise une table ronde sur le problème de la sécurité en décembre 1969. Jacques Chaban-Delmas, admet que «le réseau routier n’est pas adapté à une circulation rapide et intense». À l’image des États-Unis, la France abaisse la vitesse maximale autorisée à 110 km/h. Un nouvel état d’esprit se met en place.