Le prochain concours d’élégance de la Villa d’Este qui se déroulera du 26 au 28 au prochain doit s’attendre à connaître une affluence record. La raison de ce rayonnement particulier? La maison d’enchères anglo-saxonne RM Sotheby’s disperse l’une des rares Talbot Lago T150-C SS, carrossée par Figoni & Falashi. De l’aveu des connaisseurs, son dessin flamboyant mérite autant d’éloges que celui d’une Bugatti 57 ou d’une Delahaye 135 exécutée par le même carrossier boulonnais. Cette Talbot répertoriée n° 90110 dans les registres de l’usine est un monument de l’histoire de l’automobile, une rareté produite à une dizaine d’exemplaires. Considérée comme l’un des fleurons de la carrosserie française des années 1930, cette Talbot Lago fait partie des pièces qui peuvent prétendre au Best of Show de Pebble Beach, le concours d’élégance de plus prisé de la planète. Cette voiture qui a passé une grande partie de son existence risque fort de quitter l’Europe. Les Américains sont aujourd’hui les plus grands collectionneurs de voitures françaises de l’entre-deux-guerres. La Talbot de la vente organisée le 27 mai à la Villa Erba, sur les rives du lac de Côme, risque fort d’enlever un nouveau record. Pour mémoire, le dernier modèle que RM Sotheby’s a vendu aux enchères, la Talbot n°90112 a changé de propriétaire contre 3 136 000 euros. Cette fois-ci, le prix pourrait dépasser les 5 millions d’euros, voire même avoisiner les 8 millions d’euros.
En raison de ses galbes subtils, de ses formes sensuelles et de ses lignes d’une grande fluidité et de la forme ovoïde des vitres latérales, certaines versions de la berlinette Talbot gagnèrent le surnom de «goutte d’eau». C’est le cas de la berlinette Talbot SS n°90110 qui est l’un des rares exemplaires à posséder les quatre roues carénées. L’arrivée du modèle Figoni & Falashi est un miracle. Au début des années 1930, Talbot, comme les autres marques prestigieuses, se débat pour survivre. La marque subit les contrecoups de la crise de 1929. Elle doit se remettre en question. En 1934, la marque menace de s’éteindre. Owen Clegg, son patron britannique, a déposé les armes. C’est alors qu’entre en scène Anthony Lago. L’homme pose ses valises à Suresnes au début de l’année 1934. Ce quadra dynamique, ancien major de l’armée de l’air italienne devenu importateur Isotta-Fraschini pour l’Angleterre puis sous-directeur de Sunbeam en 1933, ne tarde pas à métamorphoser Talbot. Il restructure la gamme vieillissante, embauche l’ingénieur Walter Becchia et décide d’accompagner son offensive commerciale d’un plan sportif.
Sous la nef du Grand Palais, le salon de Paris 1934 marque les débuts officiels du type 150, animé par un six cylindres 3 litres coiffé d’une culasse hémisphérique, et des soupapes en V. Ce moteur équipé de trois carburateurs délivre 110 ch à 4 000 tr/min. Six mois plus tard, une version de compétition est prête. La cylindrée a été portée à 4 litres. Le vilebrequin repose sur sept paliers. L’empattement est raccourci à 2,65 mètres. La T150 de compétition ne connut pas le succès mais le constructeur annonça lors du salon de Paris 1936 l’arrivée imminente d’une version routière dérivée de son bolide, la Lago Speciale Grand Sport. La version à empattement baptisée SS voyait la puissance de son six cylindres portée à 140 ch. L’année suivante, toujours au Grand Palais, Talbot expose sur son stand un cabriolet portant la signature du carrossier en vogue de l’époque: Figoni & Falashi. Fournisseur attitré du constructeur, le carrossier de Boulogne-Billancourt va aussi signer plusieurs types de berlinettes sur la base du châssis court SS. Toutes les carrosseries se distinguent par des revues de détails. On peut distinguer trois familles de formes, se distinguant par des projecteurs placés plus ou moins haut, des roues arrière carénées ou non, des décorations chromées et des dérives arrière plus ou moins prononcées. Les premiers modèles dits «goutte d’eau» apparurent fin 1937. La maharani Stella de Kapurthula aurait reçu le premier exemplaire.
Restauré par l’atelier de Touraine en 2002, l’exemplaire de la Villa d’Este cédé par son actuel propriétaire suisse est l’une des rares occasions d’acquérir une pièce maîtresse de l’âge d’or de la carrosserie française. Les projecteurs rejetés en bas de la calandre ajoute un aspect spectaculaire à la ligne sculpturale.