Ce n’est plus du cinéma? À partir de 2020, vingt-cinq privilégiés pourront s’identifier à James Bond. Aston Martin, en coopération avec EON, le producteur des films du célèbre agent secret anglais, a décidé de rééditer une série de DB5 identique à celle qui avait été spécialement réalisée en 1964 pour accompagner les aventures de 007 dans Goldfinger. Le constructeur de Gaydon suit ainsi une démarche initiée par Jaguar.
D’où vient cette manie de ressusciter d’anciennes gloires? Péché d’orgueil ou opération commerciale? On vous laisse juge, mais, après avoir combattu, parfois jusqu’en justice, les officines pratiquant la construction de répliques de leurs modèles de légende, les deux constructeurs anglais de voitures de sport ont cédé à la tentation d’investir à leur profit ce marché juteux. Qu’il faille ou non les qualifier de répliques ou plutôt les considérer comme des modèles hors série est une question dont on pourrait disserter longtemps.
À vrai dire, le phénomène, développé par des ateliers privés, ne date pas d’hier. Dans les années 1960 déjà, des ateliers argentins sont passés maître dans l’art de copier les monstres sacrés des Années folles: la Bugatti de Grand Prix et l’Alfa Romeo 8C. Plus de cinquante ans après, même les experts ont bien du mal à démêler le vrai du faux devant la qualité de ces chefs-d’œuvre sculptés à partir d’une feuille l’aluminium et dont la patine des carrosseries fleure le vécu.
Au début des années 1980, Alain Garnier, un réparateur de téléviseurs de Bernay, en Normandie, passionné de Ferrari, achève la fabrication, à partir de sa 250 GTE, d’une réplique de la 250 GTO, le Graal pour tous les collectionneurs de la marque. Le résultat est si prodigieux que les plus grands connaisseurs se laissent piéger. Un marchand ayant pignon sur rue dans le sud de la France flaire la bonne affaire. Il convainc l’homme aux doigts d’or de lancer la production à grande échelle de nouveaux exemplaires de la reine des Ferrari. Sans vergogne, le marchand vend les voitures comme de vraies GTO. Un Allemand se fera avoir. Lorsqu’il découvre la supercherie, le client berné viendra rechercher les 600.000 francs en employant, paraît-il, la méthode forte! Les complices du trafic ne rendent pas les armes pour autant. Il suffit de présenter les GTO comme des 250 GT recarrossées pour poursuivre leur petit commerce. Lorsqu’il prendra de l’ampleur, après la parution de publicités dans la presse spécialisée et l’impression de catalogues appâtant le collectionneur autour du fait qu’«il était encore possible d’acheter une Ferrari 250 GTO», Enzo Ferrari vit rouge et porta l’affaire devant la justice. Depuis, de peur de déclencher une nouvelle fois le courroux de la firme de Maranello, personne ne s’aventure à découvert sur ce terrain. Quant à Ferrari, il n’a pour l’instant pas osé franchir le Rubicon.
Jaguar n’a pas eu ces scrupules et a ouvert la boîte de Pandore en 2014 en annonçant la fabrication de six répliques de la fameuse Type E Lightweight de 1963. Pour exhumer l’une des plus belles pages sportives de son histoire, la marque au félin s’abrite derrière le fait qu’elle n’avait produit à l’époque que 12 des 18 châssis prévus. Pour les puristes, la démarche de Jaguar interpelle. Personne n’avait jamais entendu parler d’une production initiale de 18 véhicules. Développées pour rivaliser sur la piste avec les Ferrari GTO et les AC Cobra, les Type E de course étaient produites à la demande. Comment doit-on juger ces six nouveaux exemplaires? Peuvent-ils prétendre au statut de véritables E lightweight et sont-ils éligibles dans les épreuves pour voitures historiques? La marque anglaise bat en brèche toute contestation: «Les six voitures sont vendues comme des véhicules d’époque de compétition et font l’objet d’une homologation FIA leur permettant de participer aux épreuves historiques.» Au passage, Jaguar a soulagé la frustration d’amateurs qui ne sont pas en mesure de débourser près de 7 millions d’euros pour un exemplaire de la série des douze. Réalisées selon les techniques modernes de développement et de construction, les nouvelles Type E sont splendides. À part le numéro de châssis et le pedigree sportif, rien ne les différencie de leurs sœurs de 1963. Dans vingt ou trente ans, elles seront peut-être considérées comme des vraies.
Fort de ce premier succès, Jaguar a continué à fouiller son passé et s’est souvenu que, des 25 fameuses XKSS qu’il avait prévu de produire, seulement 16 châssis avaient pu être livrés. Les neuf exemplaires restants avaient été détruits lors de l’incendie qui avait ravagé l’usine de Browns Lane à Coventry, le 12 février 1957. Au risque de s’attirer une nouvelle fois les foudres des défenseurs de l’authenticité et des propriétaires des 16 voitures où figure Ralph Lauren, le département Special Operations en charge des programmes spéciaux s’est lancé dans la réédition des neuf voitures manquant à l’appel. Au regard de l’afflux de demandes, il aurait pu en produire beaucoup plus. Le culte exercé par la XKSS repose sur le fait qu’il s’agit de biplaces de sport à peine civilisées de la Type D qui a trusté les victoires sur les circuits du monde entier et remporté trois éditions consécutives des 24 Heures du Mans (1955, 1956 et 1957) et que Steve McQueen en a possédé un exemplaire au début des années 1960. L’acteur américain s’en voulait tellement de l’avoir cédé qu’il le racheta en 1977 et le conserva jusqu’à son décès le 7 novembre 1980. La cote d’une vraie, située autour de 12 millions d’euros, et l’absence de changement de propriétaire alimentent la fascination pour le modèle.
De la XKSS à la Type D, sa mère, il n’y a qu’un pas que Jaguar s’est décidé à franchir. En février dernier, le constructeur a donné le coup d’envoi, lors du salon Rétromobile, d’un programme de construction des 25 exemplaires de la Type D jamais produits à l’époque et pourtant convertis en XKSS. Peu importe qu’il s’agisse d’une nouvelle entorse à l’histoire. Afin que ces barquettes de sport soient assemblées aux spécifications d’origine, les ingénieurs ont ressorti les plans de l’époque archivés et font appel aux compétences des ateliers de restauration anglais qui refabriquent depuis belle lurette des coques de Type D en aluminium. Les clients ont même le choix entre le modèle à nez court de 1955 et la version de 1956 à capot allongé et dérive de requin derrière l’appuie-tête du pilote. À l’instar de la Type E lightweight et de la XKSS, la Type D n’est pas homologuée pour la route. Nul doute que les heureux bénéficiaires de ces bolides trouveront la solution de faire sauter ce verrou.
Ces arrangements de l’histoire ont également trouvé un écho favorable auprès d’Aston Martin. Sortie exsangue de la crise de 2008, la marque préférée de James Bond a trouvé, à travers la réédition de vingt-cinq DB4 GT conformes à la version de 1959, un moyen d’accélérer son redressement. En l’espèce, le constructeur n’est pas réfugié derrière une prétendue série de châssis programmée mais jamais produite pour cautionner son projet. Version sportive de la DB4, l’exclusive GT, produite à 75 unités entre 1959 et 1963, a suffisamment marqué les esprits pour qu’Aston soit assuré de la réussite de son entreprise. Ces DB4 GT Continuation produites dans l’ancienne usine historique de Newport Pagnell n’étaient qu’une mise en bouche. On sait à présent que la DB5 de James Bond va avoir vingt-huit sœurs, dont seulement vingt-cinq seront commercialisées, au tarif de 2,75 millions de livres sterling, sans les taxes, soit un peu plus de 3 millions d’euros. Un défi d’un nouveau genre puisque cette automobile, bien que dérivant d’une voiture de série, n’a jamais été proposée au public. Ces DB5 seront conformes au modèle apparu dans Goldfinger et revenu six fois à l’écran pour accompagner James Bond, dans Thunderball (1965), GoldenEye (1995), Tomorrow Never Dies (1997), Casino Royale (2006), Skyfall (2012) et Spectre (2015). Cela signifie-t-il que la DB5 aura des pare-chocs rétractables, des lance-roquettes ou des découpe-roues? Sans doute pas, mais Chris Corbould, Mister Q des effets spéciaux des James Bond, a été sollicité pour intégrer quelques gadgets fonctionnels. Des plaques minéralogiques réversibles sont évoquées. Des facéties autorisées par l’absence de titre de circulation.
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À son tour, Porsche teste ce marché. Vingt ans après l’arrêt de la production de la génération 993, la dernière à moteur à refroidissement à air, la firme de Zuffenhausen a construit un nouvel exemplaire de la 911 Turbo de 1998 en puisant dans l’impressionnant stock de 6 500 pièces neuves de l’usine. La voiture sera vendue aux enchères, au profit d’une œuvre caritative, dans le cadre du Porsche Center d’Atlanta le 27 octobre prochain.
Tous les regards sont désormais tournés vers Ferrari. Les intentions qu’on lui prête régulièrement vont-elles se confirmer? Rééditer ses modèles de légende serait perçu par la communauté des collectionneurs comme un crime de lèse-majesté. La dernière 250 GTO s’est vendu 42 millions d’euros aux enchères voici quinze jours en Californie.