Personne ne l’a vu venir. Ou n’a voulu y croire. Pendant que tous les constructeurs s’escrimaient à sauver le moteur thermique, fortune faite avec la vente de ses actions de PayPal, l’homme d’affaires Elon Musk faisait le pari de la voiture électrique, en parallèle de l’envoi de satellites en orbite et d’hommes dans l’espace.
Dans l’automobile, les débuts de Tesla sont laborieux. Sa première voiture, un roadster électrique conçu à partir de la Lotus Elise, attire des regards de commisération et des commentaires affligés. À Hollywood, Matt Damon, George Clooney, Arnold Schwarzenegger et Leonardo DiCaprio n’hésitent pourtant pas à jouer les accélérateurs de notoriété en circulant au volant de cette sportive d’un nouveau genre. La perception de la marque change véritablement avec le lancement en 2012 d’une vraie voiture développée à partir d’une feuille blanche. Avec le Model S, une limousine zéro émission, le monde découvre qu’une voiture électrique accélère aussi fort que les meilleures sportives du marché et dispense un agrément de conduite de premier plan. Certes, elle n’est pas à la portée de toutes les bourses (autour de 100 000 euros), les finitions sont bâclées et les matériaux sont chiches, mais de riches automobilistes sont prêts à montrer qu’ils font un geste pour la planète en roulant plus vert que dans une simple Porsche Panamera ou une Mercedes Classe S. Depuis, surfant sur l’accélération de la transition écologique, Tesla a étendu sa gamme à quatre carrosseries (Model 3, Y, S et X) et ouvert une usine en Chine d’où provient l’essentiel des Model 3 vendus en France. Sans que cela ne gêne les consommateurs, pourtant si prompts à s’enflammer sur la question de la provenance des produits.
Une ergonomie repensée
Comme Apple, auquel il se compare aisément, le constructeur américain a une approche disruptive. Sans jamais faire de publicité, sans concessions mais uniquement avec des boutiques dans des galeries commerciales ou des centres-villes, il déjoue tous les pronostics. Tesla a manifestement bien préparé son affaire en s’appuyant sur trois arguments qui font mouche: un design et une technologie inédits, des animations à bord et son propre réseau de recharge.
Tesla a inauguré l’ère des habitacles épurés en rassemblant toutes les fonctions du véhicule au sein de la grande dalle centrale. L’ensemble du secteur lui a emboîté le pas. Il y a ajouté le système AutoPilot, qui ouvre la voie à la conduite autonome. Il n’est plus le seul à proposer ces équipements qui nécessitent de remettre les mains sur le volant passé 10 secondes, faute d’une évolution de la législation, mais ce dispositif est ce qui se fait de mieux. Il serait pourtant à l’origine de onze accidents de la circulation enregistrés au cours des sept dernières années aux États-Unis et ayant entraîné le décès d’une personne et blessé dix-sept autres. L’agence américaine de la sécurité routière a ouvert une enquête sur l’assistant à la conduite AutoPilot mais en attendant cette série de couacs n’a pas entamé la confiance des consommateurs pour la marque. Possesseur d’un Model 3 depuis avril dernier, Gwenaël Chichery, pourtant amateur de belles mécaniques, avoue que le système de conduite autonome a été l’un des arguments qui l’ont encouragé à franchir le pas. «Une somme d’éléments m’a fait passer à l’électrique. La première est que la fiscalité est vraiment devenue trop écrasante pour les grosses cylindrées. Même si le design ne m’emballait pas franchement, j’étais curieux de connaître l’expérience de l’ergonomie entièrement repensée et de la conduite autonome. On passe tellement de temps dans les embouteillages que l’AutoPilot permet une conduite apaisée.» Alors qu’il a déjà parcouru 12 000 km, M. Chichery est satisfait de son achat. «Je ne crois pas que je repasserai à autre chose. L’expérience a été bien réfléchie. Le smartphone se connecte correctement, l’agenda également. Les rendez-vous s’affichent automatiquement et la commande vocale fonctionne parfaitement. Le son est incroyable. Tesla a vraiment eu une approche globale en développant des divertissements pour agrémenter les multiples arrêts à la station de recharge qui ponctuent un voyage.»
Une salle de jeux
Que faire pendant que la batterie se recharge? Durant cette pause contrainte qui constitue l’ordinaire des possesseurs de véhicule électrique et qui peut prendre plus de trente minutes, Tesla a imaginé de transformer l’habitacle en aire de jeu ou en salle de divertissement et d’animation. Selon son appétence et le public présent dans la voiture, on peut organiser un karaoké ou jouer à un jeu vidéo du type Beach Bunny ou Mario Kart en utilisant les touches du volant et le pédalier du véhicule. Une partie d’échecs est également possible. À moins de préférer une partie de Cuphead, à condition de brancher des manettes de console. Si vous avez plutôt envie de vous prélasser, le performant logiciel Tesla autorise encore l’accès à une foule de services tels que les contenus musicaux de Spotify, les vidéos YouTube et la plateforme Netflix. Plus fantaisiste, pour ne pas dire carrément ridicule, le logiciel peut reproduire le son de flatulences. L’image de l’écran peut aussi faire apparaître un feu de cheminée qui crépite. L’imagination n’a pas de limites pour faire passer la pilule des inévitables étapes aux stations de recharge.
Son propre réseau de recharge
C’est sans doute le trait de génie d’Elon Musk d’avoir accompagné la commercialisation de ses modèles du déploiement de son propre réseau de recharge. Les possesseurs de véhicule électrique connaissent la galère que représente parfois le chargement de la batterie de leur véhicule, entre les installations défectueuses, le maillage insuffisant du territoire, la qualité des installations (bornes ultrarapides peu développées) et la saturation des réseaux les jours de grands départs. Des maux que Tesla a ainsi pris le parti de contourner en créant un réseau de superchargeurs. L’autonomie étant le talon d’Achille de la voiture électrique, qui oblige à des arrêts fréquents et longs, la firme américaine enlève ainsi une épine dans le pied de ses clients. Sauf lorsque, comme on l’a vu aux États-Unis à la fin du confinement, tous les conducteurs de Tesla se sont rués en même temps dans les stations de recharge, créant à certains endroits des files d’attente de plusieurs kilomètres.
En France, rouler en Tesla n’a pas toujours été un fleuve tranquille. La situation s’est améliorée notablement ces derniers mois et la marque revendique désormais près de 1 000 points de charge répartis sur 99 stations. À Vélizy, en région parisienne, la dernière évolution des superchargeurs de type V3 (puissance de charge de 250 W) a permis de franchir un grand pas. On peut à présent récupérer 279 km d’autonomie en quinze minutes. Dans Paris, on trouve aussi désormais une dizaine de recharges à destination. Principalement dans des hôtels ou à proximité de restaurants, comme sur le parking de la Grande Cascade, dans le bois de Boulogne. Quant à traverser l’Europe au volant de sa Tesla, ce n’est pas encore une formalité, mais avec 7 000 stations, on peut voir la vie plus sereinement.
L’arrivée du Model 3 a toutefois marqué la fin d’une époque: l’électricité n’est plus gratuite. Les coûts de recharge tiennent compte de l’évolution du prix de l’électricité mais on peut tabler en moyenne sur un kilowattheure à 0,36 euro. S’y ajouteront éventuellement des frais d’occupation injustifiée de l’emplacement de la borne si la station entière a dépassé 50 % de sa capacité d’accueil. Cette taxe est annulée si le véhicule est déplacé dans les cinq minutes qui suivent la fin de la charge. Enfin, l’initiative part d’une bonne intention: Elon Musk a pris la décision d’ouvrir l’accès de son réseau de recharge à d’autres marques. De leur côté, nombre de possesseurs de Tesla sont moins enthousiastes à l’idée de partager le réseau avec un nombre plus important de véhicules. Cela pourrait être source d’embouteillages.