Dans l’automobile, le succès tient parfois à la durée. Prenez le superéthanol (ou bioéthanol), ce carburant composé à 85 % d’alcool (E85) d’origine agricole, produit à partir de la betterave, du maïs ou encore du blé fourrager. Il a été promu par tous les acteurs du secteur au milieu des années 2000, mais n’a jamais réussi à décoller. En 2011, Ford n’avait écoulé que 131 véhicules fonctionnant au superéthanol. Impossible, voilà encore quelques années, d’arracher les automobilistes français à leur diesel. Une surchauffe du prix du SP95 en 2012 avait fait naître l’espoir d’un regain d’intérêt pour le E85. Fausse alerte: avec 300 pompes, le réseau de distribution du superéthanol était apparu bien maigrelet.
● Un «carburant du terroir» et des boîtiers «magiques»
Mais les repères du paysage automobile ont été dynamités. Hier adoré, le diesel est aujourd’hui honni. Son prix a rattrapé, voire dépassé celui de l’essence, tandis que le superéthanol est resté bon marché. Il oscille actuellement aux alentours de 0,72 € le litre. Mais on le trouve à moins de 0,50 € dans le nord de la France. Jusqu’à trois fois moins cher que le sans-plomb! Un plein ne coûte que de 20 € à 35 €, mais il faut tenir compte d’une surconsommation de 25 %. Avec finalement plus de 1200 pompes réparties sur l’ensemble de l’Hexagone, sa distribution n’est plus fantomatique, sans toutefois être aussi dense que celle du GPL (environ 1700 stations).
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Mais à la différence de ce dernier, d’un prix presque comparable, le superéthanol fleure bon l’écologie et le «terroir», tandis que le GPL est un carburant d’origine fossile. Surtout, l’E 85 ne demande pas de réservoir spécial qui ampute le volume du coffre ou prend la place de la roue de secours, car il est parfaitement miscible avec l’essence traditionnelle.
Cerise sur le gâteau, un boîtier «magique» permet depuis deux ans de convertir quasiment tous les véhicules à l’éthanol. Flexfuel, l’un des trois fabricants de cet équipement (avec ARM Engineering et Biomotors), confie avoir multiplié par huit ses ventes en 2018. La société monte ce boîtier de conversion pour une somme variant entre 700 et 1600 €. Pour Sébastien Le Polles, son président, «cette transformation se rembourse à partir de 12.000 km».
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Est-ce légal? Oui, si les boîtiers sont homologués, ce qui n’est pas le cas de ceux que l’on trouve à 100 € sur Internet. La garantie «constructeur» s’applique toujours aux composants non concernés par la conversion au bioéthanol. Ces boîtiers sont récents et le recul manque pour savoir si cette modification résistera bien au temps et aux kilomètres. Mais le pronostic est favorable.
Garagistes indépendants et grands réseaux les installent maintenant aisément. Si vous possédez une grosse cylindrée (plus de 14 CV fiscaux), il vous faudra attendre encore un peu avant de songer à avoir recours à l’un de ces boîtiers. Il vaudra mieux aussi vous abstenir si votre voiture n’offre pas de bonnes conditions de transformation, notamment en raison de son kilométrage élevé.
● Pas en concurrence avec les cultures vivrières
Nous avions testé voici quelques années un véhicule roulant au superéthanol (un Ford C-Max) sur un long trajet. Nous n’avions pas constaté de différence dans le fonctionnement du moteur par rapport à une alimentation en essence. Seule une odeur d’alcool à l’ouverture de la trappe du réservoir rappelait que nous roulions au bioéthanol. Nous n’avons pas eu de souci de démarrage à froid, le possible inconvénient du E85. Les 15 % d’essence contenus dans le E85 favorisent la mise en route le matin. La consommation s’était révélée supérieure exactement d’un quart par rapport à l’essence pure.
Le superéthanol va-t-il continuer son ascension? Une bonne dizaine de pompes ouvrent chaque mois. La production française d’éthanol, première d’Europe avec 23 % du total, est loin d’être saturée. Elle n’exploite que 1 % de la surface agricole, ce qui ne la place pas en concurrence avec les cultures vivrières. Plus de 183 millions de litres d’E85 ont été consommés en 2018 (118 en 2017). Le bilan écologique est attrayant avec une réduction de 50 % à 70 % des émissions de CO2 si on tient compte de l’analyse du «cycle de vie» (production et transformation des matières en éthanol, combustion dans les véhicules). Selon les dernières études, la part du SP95-E10 (jusqu’à 10 % d’intégration d’éthanol dans le SP95) dans les essences consommées dépasse de 10 points celle du SP95.
Mais, à l’exception notable du Brésil et de la Thaïlande, le bioéthanol demeure une spécialité franco-française. D’où, sans doute, la faiblesse de l’offre automobile actuelle. Une petite dizaine de constructeurs proposait près d’une trentaine de modèles au moment où de grands espoirs se fondaient sur le bioéthanol, voilà quinze ans. Ford continue toujours de croire à ce carburant avec un Kuga 1,5 litre 150 ch «Flexifuel». Le surcoût exigé par ce véhicule n’est que de 100 € (29.100 €) et les avantages, importants.
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Selon les régions, la carte grise est gratuite ou moitié prix et le malus écologique bénéficie d’un abattement de 40 % sur les émissions de CO2 pour les véhicules émettant moins de 250 g/km. Interrogé, Volkswagen, naguère investi dans le carburant agricole avec une Golf «Multifuel», dit ne plus être intéressé par ce dernier. Fiat se tournerait plutôt vers le bioGNV (biométhane), Dacia vers le GPL. Les boîtiers de conversion ont encore de beaux jours devant eux.
Au-delà de son intérêt économique direct pour l’automobiliste, cette essence «verte» issue de nos plaines montre qu’il existe des voies alternatives au tout-électrique. Si cette renaissance se confirme, le ministère des Finances pourrait alors être tenté de réexaminer la taxation du superéthanol. Avec pour risque d’entraver sa progression en déplaçant vers le haut le curseur fiscal.