Les Français ne veulent plus emprunter les transports en commun. Depuis que le Covid-19 est entré par effraction dans leurs vies, ils estiment dans une grande majorité que la promiscuité qu’imposent ces modes de déplacement fait courir un risque trop important de contamination. Est-ce un phénomène conjoncturel lié à la crise sanitaire ou une véritable lame de fond? Personne ne sait le dire mais déjà, sans jouer les cassandres, des voix s’élèvent pour prévenir que ce genre d’épisode pourrait s’inscrire dans une série plus longue. Il faudrait alors nous préparer douloureusement à vivre autrement. Nous n’en sommes heureusement pas là mais, sans attendre, de nouvelles habitudes de déplacement émergent.
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Contre toute attente, la voiture, considérée par les contempteurs comme un objet du passé, retrouve des couleurs. En dépit des contraintes qui se dressent sur sa route pour décourager les automobilistes et orchestrer la restriction de son usage – bouchons sciemment organisés par la réduction du nombre de voies, mise en place de nouveaux sens de circulation, réduction du nombre de places de stationnement, coût toujours plus prohibitif du parking, fiscalité confiscatoire -, elle conserve tout son pouvoir d’attraction.
Toutes les études le confirment. Loin des clichés, des idées reçues et des gesticulations de quelques politiques assoiffés de pouvoir, les individus réaffirment leur attachement à la bagnole. En France comme en Europe. Quelles que soient les classes d’âge et les catégories de personnes, c’est un plébiscite en faveur de la voiture. Même les jeunes de la génération Y (24-35 ans), surnommée les millennials, que l’on disait détachés de l’automobile, n’envisagent pas leur avenir sans. Selon l’enquête européenne commanditée par CarNext.com, la principale place de marché en ligne européenne de voitures d’occasion de qualité, ils sont 68 % sur un panel de 3000 personnes interrogées, dont 500 en France, à être plus enclins à se déplacer en voiture qu’à prendre les transports en commun ou à faire appel à un taxi ou à un VTC. Rien n’assure en l’espèce que les espaces clos de ces véhicules sont désinfectés à l’issue de chaque course. Il en va de même du covoiturage où plusieurs personnes, qui ne se connaissent pas, partagent, parfois pendant plusieurs heures, un espace confiné.
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Le pire n’est pas exclu. Stan Deveaux, le directeur France de CarNext.com, insiste sur le fait que la pandémie a entraîné un changement fondamental d’état d’esprit pour 65 % d’entre eux. «Nous avons aussi constaté que plus de la moitié des personnes sondées ont décidé de se déplacer en voiture pour les vacances. En cette période d’incertitude, une chose est claire: la sécurité et le confort de la voiture particulière sont plus importants que jamais», assure-t-il. Cela se comprend aisément. L’été dernier, les loueurs de voitures n’avaient, semble-t-il, pas suffisamment anticipé l’ampleur inhabituelle de la demande. Autant en raison du déconfinement progressif que de la peur d’être contaminé dans les transports, une majorité de familles a préféré rester en France, privilégiant ainsi les déplacements en voiture. C’est ainsi que certains vacanciers corses se sont retrouvés fort marris après avoir essuyé la pénurie des véhicules de location. En ces temps contrariés, la voiture fait l’effet d’une bulle protectrice. Elle est considérée comme le prolongement de son chez-soi.
Rester maître de son libre arbitre
En disséquant l’étude CarNext.com, on s’aperçoit que les Français sont moins attachés à la voiture que leurs voisins européens. De quelques points, mais ce léger désamour tient sans aucun doute à la pression sociétale et réglementaire qu’on lui fait subir. Sans équivalent en Europe et dans le monde. Au pays qui l’a vue naître, cela a de quoi inquiéter. Une responsabilité relevant de quarante ans d’impérities politiques, de croisades idéologiques et d’incohérences réglementaires et fiscales. Vilipendée, accusée de tous les maux, la voiture reste pourtant un instrument de liberté. Elle permet de rester maître de son libre arbitre. De faire ce que l’on veut. Quand on veut. De ne pas être tributaire de l’horaire de trains, de bus ou d’avions que les militants de la décroissance voudraient clouer au sol.
Le transport collectif, qui attise toutes les craintes, arrive en dernière position de toutes les études. C’est encore plus vrai lorsque l’on ajoute les grèves, comme durant l’hiver 2019, les retards à répétition et les questions relatives à l’insécurité et aux incivilités. La preuve que la voiture peut rendre de grands services. 76 % des Français déclarent en effet se sentir protégés à l’intérieur de leur véhicule, selon le dernier Observatoire Cetelem. C’est pourquoi ils sont 65 % à la juger indispensable. Cette proportion est cependant en réduction de 20 % par rapport à dernière consultation de 2017. 56 % des personnes interrogées considèrent également qu’elle occupe une place trop importante dans le monde actuel.
Près des deux tiers souhaiteraient voir sa place réduite dans les villes. Il faut sans doute y voir le poids pris par l’environnement dans la société. On ne saurait dénier les encouragements à la pratique du vélo en ville pour améliorer la qualité de l’air, mais on peut regretter que ce virage n’ait pas été opéré de façon concertée et raisonnée. Tout le monde ne peut pas se déplacer à vélo, ni en trottinette électrique. Une politique cohérente commanderait que l’on puisse tout à la fois privilégier la plupart du temps le vélo pour ses déplacements dans l’enceinte de la cité et pouvoir se servir de sa voiture pour accomplir des tâches bien particulières. Charger un objet lourd et encombrant sur un vélo peut se révéler hasardeux.
L’étude Cetelem corrobore toutes les autres. Son directeur, Flavien Neuvy, relève qu’«il n’y a pas de rejet massif de la voiture chez les jeunes, plus sensibles à la cause environnementale. La fracture est plus géographique que générationnelle. Les citadins ont moins de contraintes à abandonner la voiture que les banlieusards et les provinciaux». Dans les territoires reculés, où l’offre de transport collectif est bien souvent inexistante, la voiture n’est pas seulement une nécessité. Elle est un rempart contre l’exclusion. Une étude réalisée par l’institut Odoxa pour BMW met ainsi en exergue que tous les Français ne sont pas égaux face à la mobilité. Malgré la diversité des modes de transport et des moyens de mobilité mis à la disposition des Français, 47 % d’entre eux continuent d’utiliser leur voiture tous les jours. Si sa baisse est surtout spectaculaire dans l’agglomération parisienne, dans les autres grandes villes et d’une manière générale en province, elle reste le moyen de déplacement numéro un.
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Principal enseignement de ce sondage: les Français sont attachés à la complémentarité des moyens de transport. Voiture puis train ou métro, train puis vélo ou trottinette électrique, marche et vélo ou bus: la multimodalité est vécue comme un atout pour optimiser les temps de transport. Les Français passent en moyenne 48 minutes par jour dans les transports pour aller travailler, 43 minutes en zone rurale et 60 minutes en région parisienne. Au-delà de 1 h 10, aller-retour, par jour, l’expérience est mal vécue. Ce n’est pas du luxe: le boom du télétravail va permettre de récupérer ce temps perdu dans les déplacements.