Tourner en rond: quelle drôle d’idée! Pas tant que cela. Les adeptes de virées sur circuit sont de plus en plus nombreux. En Allemagne, c’est presque une religion. Surtout sur la fameuse «Nordscheife», la boucle nord du Nürburgring, un toboggan d’asphalte tracé au cœur du massif de l’Eifel. Baptisée l’enfer vert, cette piste de 22 kilomètres est un monument de difficultés. C’est sur ce tarmac sans pitié que Niki Lauda a failli perdre la vie durant le Grand Prix d’Allemagne 1976. Aujourd’hui, de toute l’Europe, des amateurs se pressent, comme en pèlerinage, dans ce haut lieu des sports mécaniques. Moyennant un péage de 25 euros en semaine, 30 euros le week-end, automobilistes, motards, chauffeurs de minibus ou de caravanes s’offrent un ticket pour le circuit le plus dangereux du monde. Certains accros, résidant à proximité du circuit, n’hésitent pas à boucler un tour le matin après avoir déposé les enfants à l’école et avant de rejoindre leur bureau. Les circuits français aimeraient sans doute connaître pareille ferveur.
Chez nous, les amateurs du genre ne font pas encore la queue à l’entrée, mais depuis quelques années, les séances de roulage sur circuits de vitesse enregistrent un engouement croissant. Plusieurs raisons militent pour cet intérêt soudain: exploration des capacités et parfois des limites de son véhicule dans un environnement sécurisé et sans risquer de perdre son permis de conduire, envie de se surpasser, recherche du grand frisson, découverte du conducteur que l’on est, partage d’un moment avec une communauté de passionnés. Au bout du compte, il s’agit ici de tourner sans esprit de compétition et sans d’autre aspiration que celle de se faire plaisir. Tout le monde en convient: on ne sort pas indemne d’une expérience sur un circuit, qui confine à l’école de l’humilité. On ne voit plus la route de la même manière après avoir foulé le bitume d’une piste.
Si ces séances de roulage gagnent en audience, les circuits – la France en compte près d’une cinquantaine – ne sont pas tous logés à la même enseigne. Ceux qui peuvent se prévaloir d’un élogieux passé sportif et qui ont accueilli des compétitions de renommée internationale bénéficient d’une aura particulière. C’est le cas de celui de Dijon-Prenois. Yannick Morizot, son directeur, reconnaît que l’histoire du site, avec la F1, mais aussi les spécificités du tracé, aussi technique que rapide (certaines machines dépassent les 300 km/h) plaident en sa faveur. «Le circuit est loué 235 jours par an», assure-t-il. Les responsables du circuit Paul Ricard ne disent pas autre chose. Le retour du Grand Prix de France de F1 a eu un effet d’entraînement. Les journées de roulage libre baptisées «trackdays» représentent désormais 30 % de son activité.
De son côté, Julien Beltoise, qui fête les dix ans du circuit de Haute Saintonge, idéalement situé entre Angoulême et Bordeaux, constate également que les demandes de roulage libre sont en progression. Surtout en fin de semaine et le week-end. Il admet qu’il est plus difficile d’attirer des amateurs la semaine. Pour compenser, Julien Beltoise a multiplié les initiatives auprès d’un nouveau public en lien avec des activités de formation. «Nous accueillons des présentations de nouveaux modèles, des formations vendeurs, la Sécurité routière pour différents ateliers», dit-il. Une vingtaine de personnes des forces spéciales du ministère de la Défense viennent même de passer plusieurs jours en Charente-Maritime pour acquérir des notions de pilotage et maîtriser certaines figures (demi-tour en marche arrière).
Des anciens pilotes reconvertis
Quel que soit le circuit, les instructeurs sont de grands professionnels. Parfois des anciens pilotes reconvertis. Tous possèdent un brevet d’État (BPJEPS) leur permettant d’animer et de transmettre leur savoir. Ils sont souvent sollicités par un groupe d’amis qui privatisent la piste pour la journée. Ces clients au profil international tournent principalement avec des GT d’exception ou des voitures de compétition anciennes ou modernes. Ils privilégient les sites qui peuvent se prévaloir du label F1 et de son niveau de sécurité.
«La sécurité est primordiale pour nous. Régulièrement, nous réalisons des travaux pour l’améliorer», dit Yannick Morizot. Dijon, comme le Castellet ou Nevers-Magny-Cours, font partie des sept circuits français bénéficiant du grade 2 FIA (homologué F1). Il a même installé un mini-hôpital à demeure avec du personnel médical. «Lors des journées dédiées aux motards, j’ai toujours la hantise que l’un d’entre eux chute. Grâce à notre organisation et à nos installations sous surveillance caméra, il nous faut moins de deux minutes pour être sur les lieux de l’accident», assure M. Morizot. Homologué grade 3, le Haute Saintonge est, lui, sous la vigilance permanente de 17 caméras. Côté assurance, il n’est pas indispensable de souscrire une licence, mais Julien Beltoise, comme la majorité de ses confrères, demande une extension de garanties «roulage circuit loisir».
Circuit d’un autre temps dépourvu de toute zone de dégagement, l’autodrome de Linas-Montlhéry s’applique également à minimiser les risques lors de la quinzaine de manifestations organisées par an. Avant le début des festivités, les participants sont convoqués à un briefing de piste. Chaque session de roulage est limitée à 34 véhicules et à 20 minutes. Des commissaires de piste surveillent les comportements. La direction de course se réserve le droit d’exclure un pilote après deux rappels à l’ordre.
Désormais privé de compétition, l’autodrome francilien connaît une seconde vie avec ces meetings. «Un week-end sur deux il s’y passe quelque chose», dit Bruno Janneau, en charge de la communication. «Nous avons lancé le tour du monde mécanique, des réunions de véhicules par pays. Nous recevons aussi les Grandes Heures automobiles et le Youngtimers Festival.» La passion est aussi le moteur du festival que le circuit creusois du Mornay, créé par Pierre Petit, un ancien espoir du sport automobile, organise le week-end du 21 septembre.
Ces meetings attirent une nouvelle clientèle, plus jeune, et des véhicules plus récents, qui noircissaient voici peu les pages des rubriques occasion. L’inscription aux événements organisés par le circuit varie entre 99 et 150 euros et donne droit à deux entrées, deux repas, des plaques de rallye et trois à quatre sessions de roulage. Au Paul Ricard, moyennant 118,30 euros, on peut effectuer trois tours au volant d’une Ferrari ou d’une Lamborghini. La preuve que le circuit n’est pas réservé à quelques privilégiés.
Porsche en son jardin manceau
C’est tout naturellement aux abords immédiats du circuit des 24 Heures du Mans où il détient les records de victoires (19) et du nombre de véhicules engagés que Porsche a installé un centre d’un nouveau genre, consacré, selon le jargon des spécialistes du marketing, à l’expérience client. Ici, le constructeur allemand de voitures de sport chouchoute ses clients et le cercle de ses fanatiques.
Autant pour fidéliser que pour entretenir le lien avec les passionnés de la marque, le Porsche Experience Center (PEC) propose une multitude d’activités. À commencer par des stages de pilotage sur les tracés de Maison Blanche (de 1,9 à 2,9 km suivant la configuration) ou du Bugatti (4,1 km) au volant des modèles de la marque.
Les programmes assurés par des pilotes instructeurs expérimentés sont très variés. Les participants choisissent la formule la plus adaptée à leurs attentes et à leur niveau. Pas besoin d’être propriétaire d’une Porsche pour connaître le grand frisson. Le stage «Précision» de la Porsche Driving School est accessible à partir de 1130 € avec une 911 du PEC (695 € avec sa voiture). Le must: un stage de 2 jours au volant d’une 911 GT3 RS est facturé 7480 €. Depuis son ouverture en 2015, ce centre a déjà reçu 60.000 personnes et enregistré plus de 900.000 km sur les pistes. Soutenu par un réceptif de qualité, le PEC veut désormais aller plus loin et ouvrir plus largement ses portes aux séminaires d’entreprise et accueillir aussi les mariages.
Les constructeurs en piste
Dans le cadre de programmes de découverte de leurs univers et de leurs derniers modèles, les marques sportives reçoivent de plus en plus leurs clients et leurs prospects sur les circuits. Chez Ferrari, ces événements prennent la forme d’«owners days» et se déroulent sur différents circuits européens (Spa-Francorchamps, Nürburgring, Imola, Valencia). Au menu: des sessions de cours particuliers et des tours libres. Jaguar convie aussi ses clients sur les circuits pour faire essayer ses modèles les plus sportifs. Quant à Mercedes, il organise depuis quelques années les «AMG-Live», un mini-Tour de France permettant de faire essayer les dernières nouveautés de sa gamme sportive à ses clients privilégiés et à ses contacts. Cette année, la caravane se posera sur les pistes de Mortefontaine, du Bugatti, du Castellet et de Dijon. Les motards ne sont pas oubliés. Honda est ainsi partenaire de la société First on Track qui organise des journées de roulage sur les plus grands circuits européens. Chez Yamaha, les événements sont réservés principalement aux possesseurs de la supersportive R1M.