Parmi les designers vedettes du secteur, Jean-Pierre Ploué dirige le style des marques françaises (Citroën, DS et Peugeot) du groupe PSA depuis 2007, soit 320 personnes. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’arts appliqués et des métiers d’arts, ce féru d’automobiles a débuté sa carrière chez Renault où il s’est fait remarquer en dessinant la première Twingo. Après trois ans chez VW, puis deux ans chez Ford, à Cologne, il a retrouvé la France en 2000. Citroën lui a confié la refonte de son style. Ce Bourguignon affable nous a reçus dans les locaux de l’ADN, bureau de style de PSA, à Vélizy.
LE FIGARO.- Le rachat d’Opel par PSA a-t-il modifié votre organisation et votre champ de compétences?
Jean-Pierre PLOUÉ.- Je suis directeur du style PSA, c’est-à-dire des marques Peugeot, Citroën et DS, mais je ne suis pas en charge du style Opel à proprement parler. Par contre, la marque allemande s’est alignée sur nos méthodes. Nous avons mis en place des outils qui nous placent à un niveau très élevé de performances en termes de design, tant pour la qualité du style que pour le respect des budgets. Alors que certains constructeurs commencent à s’en affranchir, tous nos projets effectuent des tests cliniques auprès de panels de clients. C’est l’un des éléments de mesure de ma performance. De son résultat dépend la décision d’engager le développement du projet. Les tests sont sévères, parce que la marque n’est pas cachée. Implicitement, les automobilistes jugent l’image de la marque. DS part ainsi avec un petit handicap, puisque ses modèles sont comparés à leur univers de concurrence où l’on ne trouve que des firmes établies. On n’a pas le choix: pour engager le projet, elle doit gagner son test. Ce n’est jamais facile, car il faut comprendre que le test de style n’est pas uniquement lié à la qualité du design. Il implique toute l’entreprise, car le style dépend de l’architecture. C’est exercice sous fortes contraintes. C’est un sujet dont je débats souvent avec Carlos Tavares. Il serait normal que les architectes soient aussi challengés sur leur partie.
Un beau style dépendrait donc en grande partie de la qualité de la plateforme?
Au même titre qu’une belle maison n’est pas uniquement le résultat de sa décoration mais découle également du dessin de son architecture, de son emplacement, de son élévation, de son implantationn le style ne peut réussir tout seul. Et, nous sommes partie prenante dans le développement des architectures.
Si l’on revient à votre rôle, vous seriez donc un chef d’orchestre?
Je suis garant de la différenciation du style des quatre marques. Chacune d’entre elles a son propre directeur du style, mais nous partageons certains moyens, le modelage et une partie de la CAO. Nous organisons des séances régulières multimarques pour confronter les designs et éviter les proximités. Je peux être amené à demander à l’un ou l’autre des designers d’adapter ou de corriger le style d’un véhicule. Cela n’a pas toujours été le cas. Avant, chaque marque travaillait dans son coin sans échanger. Je pense que nous sommes devenus assez performants en termes de différenciation. Un 3008 ne ressemble ni à un C5 Aircross ni à un DS7 Crossback ou à un GrandLand X.
Sur quels éléments fondez-vous la nécessaire différenciation entre chaque marque?
Nous avons mis en place un outil très performant qui détaille les valeurs de chaque marque et que l’on partage avec l’ensemble du style et l’ingénierie, la direction du produit et du comex bien sûr. Elles sont réaffirmées régulièrement. Chaque constructeur véhicule des mots-clés. Ils définissent un style, des formes, un équilibre, des couleurs, des matières. Ces mots nourrissent la créativité des designers. Notre métier consiste à mettre en forme les valeurs et la philosophie de la marque, de les formaliser sous forme digitale. Citroën, qui incarne le «feel good», ne peut faire un design agressif. A contrario, avec Peugeot, qui est dans le dynamisme et l’émotion, le style va être plus acéré, plus techno.
J’avais initié ce travail d’affirmation des valeurs quand je suis arrivé chez Citroën en 2000. Nous avions réalisé un portrait chinois qui nous a servi à positionner la marque et à définir les lignes directrices du style. Ce travail a encore plus de sens quand vous êtes un groupe multimarques. Depuis, charque marque dispose de cet outil. Ces vingt dernières années ont permis de réaffirmer les valeurs de chacune d’entre elles et de les rendre plus indépendantes. Pour autant, les designers s’attachent à les respecter sans s’éloigner de la tendance mondiale et des influences.
Comment caractériser cette influence mondiale?
Il y a une convergence technologique et d’architecture qui amène à réaliser des voitures assez standardisées en termes de silhouette. Tout le monde dessine des SUV aujourd’hui. Mais avec la rupture et les transformations que nous sommes en train de vivre, on va peut-être voir arriver des architectures nouvelles, alternatives et donc des silhouettes différentes.
Ne sommes-nous pas en train de vivre la fin du SUV?
Les SUV restent les objets dont les clients ont envie dans le monde entier malgré les enjeux environnementaux. Si ce véhicule connaît un tel engouement dans le monde, c’est parce qu’on lui reconnaît plein de vertus. Ce n’est pas uniquement un look. L’assise haute permet de voir loin et participe à la notion de sécurité. L’espace intérieur et la fonctionnalité sont semblables à ceux d’un monospace. Il véhicule un sentiment d’évasion et de liberté retrouvée. Maintenant, ces silhouettes volumiques ne vont pas forcément dans le sens de la réduction des masses et du CO2. Pour autant l’électrification est une évolution positive à cette problématique.
Est-ce le retour en grâce de la berline?
Pas tout à fait. Nous sommes en train d’évoluer vers des silhouettes optimisées, de type crossover. C’est le retour des silhouettes basses mais sans aller jusqu’à la berline, car nous devons prendre en compte à la fois les grandes roues, réclamées par les designers, et l’électrification des véhicules. Les plateformes doivent désormais intégrer une épaisseur de soubassement d’environ 10 cm pour loger les batteries.
La mode des grandes roues va-t-elle se poursuivre?
Les grandes roues: c’est l’obsession du designer. Elles participent à la réussite d’une silhouette. Surtout lorsqu’il s’agit d’un SUV. On remarque qu’un 3008 avec des roues sous-dimensionnées, cela ne fonctionne pas. Chez PSA, on privilégie le diamètre, pas la largeur. Après, cela peut évoluer si l’on se dirige vers un nouveau concept.
Quelle est la doctrine de PSA en matière de véhicules électriques? Faut-il que ces modèles se différencient?
On ne se pose pas ces questions-là. PSA a fait le choix de plateformes multi-énergie. C’est la voie de la sagesse vu que nous vivons une période intermédiaire.
Concevez-vous une voiture de la même manière aujourd’hui qu’il y a 20 ans?
Le digital nous a fait entrer dans une nouvelle ère. Avant, les designers, l’ingénierie et le produit se retrouvaient autour de dessins et de maquettes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons divisé les moyens de manière considérable. Quand des concurrents continuent à réaliser 9 à 10 maquettes physiques, nous n’en faisons plus que deux car les autres propositions sont faites en digital. C’est un gain de temps et d’argent. Étrangement, ce sont les jeunes designers qui éprouvent le plus de difficultés à se passer des maquettes. En cas de doute, nous en réalisons une. En deux jours, elle est prête. Ensuite, on peut décider de l’emmener sur notre piste d’essais de La Ferté-Vidame. Nous avons été les premiers à faire rouler des maquettes en mousse ou en clay en les arrimant à un skateboard électrique. En faisant évoluer les prototypes dans la campagne avec des modèles actuels, on voit des choses qui pourraient nous échapper sur un écran ou sur la terrasse de l’ADN. J’appelle cela un design nourri au grain.
Comment décèle-t-on un bon designer?
Ce n’est pas très facile. Ceux qui se présentent chez nous ont tous un bon book. La meilleure garantie de ne pas se tromper est de les prendre en stage en amont. Dans cet esprit, nous avons créé le Peugeot Summer Class. Durant la période estivale, nous accueillons 12 stagiaires pendant un mois, sur les 400 candidatures que nous recevons. C’est notre première source de recrutement. Nous avons également des designers qui effectuent des prestations et des jeunes scolarisés que nous recevons pendant quelques mois. La compétition est tellement relevée que nous n’avons pas les moyens de nous tromper.
Le rêve de tout designer est-il toujours d’inventer la silhouette de demain?
Tous les concepts existent déjà. Le vrai sujet est d’arriver au bon moment avec le bon. Des exemples récents ont montré que l’on ne tire pas forcément un avantage d’être précurseur. Faire l’objet incroyable, c’est toujours un rêve mais c’est tellement complexe. Le véritable succès, c’est quand tous les produits sont performants. Chez PSA, notre préoccupation est que les quatre marques réussissent en même temps. Les quatre designs doivent être au même niveau de performance.
Les projets donnent-ils toujours lieu à une compétition interne?
Elle est très courte et ne dure que trois semaines environ. On peut aller droit au but grâce à notre outil qui définit de façon très pointue ce que l’on veut faire. En général, trois mois suffisent pour valider un design.
Les Chinois influencent-ils le style?
Nous nous sommes parfois trompés quand nous avons fait des voitures pour eux. Quant aux couleurs et matières, ils ont aussi renoncé au cuir clair pour des coloris sombres.
Le cuir va-t-il rester le standard du luxe?
Des alternatives sont en train d’émerger tant en termes de nouveaux cuirs que de matières 3D innovantes.
L’impression 3D est-elle la clé de la personnalisation?
Cette technologie va se généraliser progressivement. Nous allons pouvoir proposer des pièces de plus en plus grosses. Des coques de siège, de rétroviseurs. Un jour aussi, nous réaliserons des pièces structurelles.