Chaque jour, Le Figaro vous fait revivre les changements de la société française des dernières décennies à travers les grandes campagnes de la publicité automobile.
L’humeur est frivole, un brin libertaire. Mai 68 vient de passer par là. Les Français rêvent d’escapade et d’émancipation. Au volant de leur voiture, ils s’évadent. Cheveux au vent et pied au plancher. «À cette époque, il faut savoir que le plaisir de la voiture était avant tout la vitesse», reconnaît la mémoire vivante de la publicité, Jacques Séguéla.
» LIRE AUSSI – Années 1960: quand la voiture était un objet sacré
Elle est aussi le symbole ultime de la modernité et permet à chacun d’accéder à une forme de libre arbitre particulièrement recherché au début des années 1970. En 1972, Simca fait de la vitesse au volant l’argument de vente de sa 1100 Spécial avec un slogan: «Rejoindre Paris à Lille en 1 h 30.» Une promesse largement développée par un verbatim sans queue ni tête précisant tout de même que «son conducteur l’utilise à bon escient parce que c’est plus intelligent».
Que dire de Porsche qui, en 1970, compare ses modèles à des pin-up que l’on choisit selon ses affinités et qui, deux ans plus tard, propose à ses aficionados d’avoir six cylindres qui rugissent plutôt que deux enfants qui pleurent sur la banquette arrière.
On est loin du politiquement correct. «Mais, dans les années 1970, la publicité elle aussi se libère, poursuit le publicitaire Jacques Séguéla. Quelques années plus tôt, montrer trois femmes fatales pour parler d’une Porsche aurait été totalement inenvisageable. Tout comme cela le serait à nouveau de nos jours.»
En avoir sous le capot, c’est bien ce à quoi rêvent les Français qui surfent sur la vague des Trente Glorieuses. «Celles-ci consacrent l’industrialisation à tout va, précise Julien Grollemund, le fondateur du studio artistique Rupture et associés. La voiture est l’objet de tous les désirs, un signe ostentatoire de réussite, de performance et le symbole de la liberté gagnée.» Autant de bonnes raisons qui en font le bien de consommation préféré des Français. Et un sujet riche d’imaginaire.
Les constructeurs grincent des dents
Quelques années plus tard, le coup de frein est brutal. En matière de sécurité routière, tous les indicateurs sont au rouge. En 1972, on dénombre plus de 18.000 morts sur les routes françaises. La même année, le premier ministre Jacques Chaban-Delmas nomme Christian Gérondeau délégué à la Sécurité routière.
» LIRE AUSSI – Automobile: la filière doit s’adapter à la fin du moteur à combustion
Après moult expérimentations et l’obligation de porter la ceinture de sécurité hors agglomérations, ce dernier entérine, en 1974, la limitation généralisée de la vitesse à 90 km/h sur le réseau secondaire et à 130 km/h sur autoroute. «Cette réglementation va tuer le rêve de la voiture», note Jacques Séguéla.
Derrière celle-ci, qui fait grincer des dents les constructeurs à la recherche de performances, se cache aussi une parade à la crise pétrolière ayant entraîné le quadruplement du prix du baril de pétrole. Car baisser la vitesse, c’est aussi contribuer à la chasse au gaspi. «Cette crise marque le coup de sifflet de l’élan insufflé dans plusieurs domaines, comme l’automobile, et laisse présager l’avenir de la voiture, vouée à devenir un objet utilitaire, poursuit le sociologue Ronan de Chastellier. Cette prise de conscience de la raréfaction de l’essence porte un symbole fort. Le pétrole est synonyme de croissance économique. En pleine euphorie des Trente Glorieuses – période de consumérisme par excellence – cette crise a une valeur alarmiste.»
C’est dans ce climat que les années 1970 marquent la transition entre l’hyper-performance et la raison. Laquelle dessinera les contours des décennies à venir, marquées par des thèmes comme la sécurité ou l’environnement. C’est d’ailleurs dans ce même esprit que la petite voiture fait son apparition. «Jusqu’alors, l’automobile était essentiellement familiale. On ne l’utilisait pas pour aller travailler. Elle était chère. Sacrée. Voire bâchée dans son garage et réservée aux vacances», remarque Jacques Séguéla.
» LIRE AUSSI – Transformer votre 2 CV en véhicule électrique
La notion de deuxième véhicule, de modèle plus accessible financièrement pour les jeunes apparaît donc dès 1975. La première Golf de Volkswagen en est l’exemple le plus éloquent. «Cette citadine qui mise sur son format à la fois compact et pratique préfigure l’évolution de la vie dans les années à venir», ajoute encore Julien Grollemund. De nos jours, le discours peut sembler paradoxal. À l’époque, le parking en ville n’est pas un problème et pourtant, on commence à avoir en tête la difficulté de se garer. «Imaginez qu’aujourd’hui on a même des applis pour trouver une place», s’amuse Ronan de Chastellier.
R14, un flop total
Avec les changements majeurs de la société, la publicité – dont la finalité est de vendre du rêve – fait elle aussi sa mue. «Au début de la décennie, le “body copy” – traduisez “le texte qui accompagne la publicité” – est encore travaillé de manière littéraire. On en dit beaucoup, on est bavard», analyse Ronan de Chastellier. «L’industrie créative n’a pas encore démarré, on s’intéresse aux faits plus qu’aux effets. Mais c’est durant cette décennie que l’on va passer de la réclame à la publicité telle qu’on la connaîtra par la suite», explique à son tour Jacques Séguéla.
Chez Citroën, ce dernier se souvient avec admiration des années Robert Delpire, le champion de la publicité «de brochure» associée à des visuels signés des plus grands photographes, qui influencera ensuite toutes les grandes marques dans la manière d’éditorialiser leurs pubs. «Celles-ci deviennent petit à petit moins bavardes car le discours va se reporter sur les spots télé qui se développent à ce moment-là» , conclut Julien Grollemund.
» LIRE AUSSI – Comment l’industrie automobile française relève le défi de l’électrique
Toutes les campagnes ne sont pourtant pas encore une réussite. En 1977, celle de la R14, surnommée «la poire» par des créatifs mal inspirés, est un flop total. «Il fallait une certaine audace pour faire accepter à un constructeur que sa voiture, assez laide au demeurant, ressemble à une poire et comparer ses concurrents à des fruits et légumes», remarque-t-il. Même si un premier pas est fait vers le pouvoir de l’effet visuel, on est bien loin de la publicité à grand spectacle qui verra le jour quelques années plus tard et deviendra l’emblème des années 1980.
La voiture de la décennie
Sans doute pétrifiée par l’enjeu, la firme de Wolfsburg a longtemps renâclé à remplacer la Coccinelle. L’arrivée d’une nouvelle direction et la naissance du groupe VAG en 1971, avec l’union de Volkswagen et d’Audi, issue du rattachement d’Auto-Union avec NSU, changent la donne. La nouvelle VW adopte l’architecture à traction avant, la conception la plus appropriée pour une voiture populaire.
» LIRE AUSSI – En France, le boom des véhicules d’occasion
Annoncé début 1974, ce modèle baptisé Golf est lancé à l’automne. Dessinée par Giorgetto Giugiaro, cette berline aux lignes carrées 3 ou 5 portes (avec hayon) de 3,72 m s’avère l’un des modèles les plus réussis de sa catégorie. Le lancement, fin 1975, d’une version sportive GTI équipée du 4-cylindres 1,6 litre à injection de 110 ch d’origine Audi va largement contribuer à asseoir la réputation de la Golf. Devenue la référence de son segment, cette berline inspire de nombreuses concurrentes.