C’est l’un des effets inattendus de notre monde foudroyé par l’épidémie du coronavirus: les amateurs de voitures anciennes n’ont pas renoncé aux objets pétaradant de leurs rêves d’adolescents. De nouveaux passionnés se sont même révélés au grand jour. Malgré le confinement, l’ajournement ou l’annulation de nombre de manifestations et d’événements dédiés aux voitures de collection mais également des plus importantes ventes aux enchères de l’année, le marché de la collection continue de tenir son rang. Il fait même figure de valeur refuge. L’année 2020 se termine en fanfare avec la vente en un seul lot, lors d’une vente d’art contemporain à New York, des trois Alfa Romeo BAT (BAT 5, BAT 7 et BAT 9) carrossées par Bertone dans les années 1950. Au milieu d’œuvres de Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Alexander Calder, Mark Rothko ou encore Jasper Johns, la maison RM Sotheby’s a adjugé la triplette italienne 14,84 millions de dollars, soit plus de 12,76 millions d’euros. Cette vente conclut sur une note positive une année chahutée mais marquée par la grande capacité de résilience du marché. La passion de l’automobile de collection ne se dément pas. «La crise sanitaire a joué le rôle de détonateur. Il y a eu un déclic chez nombre de passionnés. En cette période troublée où l’on ne sait pas de quoi sera fait demain, certains se sont dits que c’était le moment ou jamais de passer à l’acte et de se faire plaisir», explique Pierre Novikoff, le directeur adjoint du département Motorcars de la maison parisienne Artcurial.
Se faire plaisir. Érigé en slogan, ce mot d’ordre tourne en boucle. La crise sanitaire n’est pas seule responsable de cet état d’esprit. Ce n’est pas nouveau. La voiture ancienne constitue une échappatoire, agit en exécutoire de passions contrariées. Notre époque n’est pas tendre: fiscalité et taxes abondantes, restrictions de circulation, répression routière exacerbée. Au milieu d’horizons bouchés, la voiture de collection est un rayon de soleil.
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Rouler en ancienne chasse l’ennui. On n’est pas le passif soumis et assisté. Tous les sens sont en éveil. Les oreilles écoutent le chant des cylindres, traquent le moindre bruit suspect. La boîte grogne, nécessite un engagement vigoureux et la maîtrise du double débrayage. Le pied droit s’échauffe près du tunnel de transmission. La tenue de cap approximative réclame des corrections incessantes au volant. Les freins, parfois à tambour et à l’efficacité relative, requièrent anticipation et dosage approprié. La voiture ancienne n’accorde aucune seconde de répit. Réussir à la dompter procure une immense satisfaction. À la nostalgie d’un paradis perdu et le désir de renouer avec des objets qui ont égayé sa jeunesse se joint un aspect financier. C’est un sujet tabou mais la cote d’un modèle ou son étiquette «valeur sûre» et sa propension à gravir les échelons guident le choix des acheteurs. Aucun passionné n’est disposé à voir son capital fondre. C’est un faux débat considère l’expert Stéphane Bonoron. «Dans un marché en baisse, c’est gênant pour le collectionneur qui décide de sortir de la boucle, mais pas pour celui qui veut faire tourner sa collection. Il bénéficie des mêmes conditions du marché à la vente comme à l’achat.»
Distinguer le bon grain de l’ivraie
L’épidémie n’a pas rien changé à la nature des modèles plébiscités. Les GT et les sportives des années 1960 à 1980 concentrent toujours la majorité des demandes. Qu’il s’agisse de modèles qui présentent un intérêt en termes de performances, de technologie, d’esthétique, de rareté, de fiabilité. Mais tous les modèles se collectionnent. D’exception ou populaire. En septembre dernier, dans le cadre de la succession d’André Lurton, Artcurial a ainsi vendu 7000 euros une Peugeot 203 de 1957 qui en vaut normalement 2000. «Le désir d’acquérir ce modèle et sa provenance expliquent en grande partie l’enchère atteinte», souligne Pierre Novikoff. Bien que cela concerne une niche, les modèles d’avant-guerre connaissent un regain de forme. Ils attirent une clientèle bien identifiée de connaisseurs qui habite à la campagne et qui sait mettre les mains dans le cambouis au cas où.
En marge des modèles anciens, certaines voitures récentes peuvent se prévaloir de l’étiquette “collection” en raison de leur rareté (supercars, éditions limitées et numérotées), de la personnalité de leur propriétaire ou de leur palmarès en compétition. Ces modèles de course sont promis à un bel avenir selon Artcurial. «C’est en grande partie lié à l’évolution des usages. Une frange non négligeable des amateurs achète des voitures avec lesquelles ils vont pouvoir participer à des épreuves sportives historiques type Tour Auto, Le Mans Classic ou Mille Miglia», poursuit Pierre Novikoff.
L’épidémie a modifié le comportement des passionnés. Comme pour les produits de consommation courante, les voitures de collection s’achètent désormais sur la toile. Sans les voir. Ni les essayer. En se fiant au descriptif du site du marchand ou des maisons d’enchères qui se sont réinventées en organisant des ventes en ligne. Celle de la collection Elkhart, qui a donné lieu à deux jours d’enchères en octobre dernier, a connu un véritable succès. Cette vente de 240 véhicules a mobilisé plus de 2500 enchérisseurs de 53 pays différents, réalisant un chiffre d’affaires de plus de 44 millions de dollars.
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Vraiment pas effarouchés à l’idée de se faire berner et de réaliser une mauvaise affaire, certains amateurs n’hésitent pas à débourser jusqu’à 2 millions d’euros. Stéphane Bonoron met en garde contre ces dérives. «Il ne faudrait pas créer une génération de déçus. C’est déjà subtil lorsque l’on peut examiner une voiture de débusquer les défauts qui se cachent parfois sous une peinture neuve et des chromes scintillants, alors quand la transaction s’effectue à distance, cela tourne parfois à la loterie», dit-il. Heureusement, les acheteurs sont de mieux en mieux renseignés. Ils savent distinguer le bon grain de l’ivraie. «Le marché privilégie les voitures bien documentées et disposant d’un dossier complet et pouvant afficher une histoire limpide. Les amateurs sont friands de modèles possédant une âme», poursuit l’expert parisien. Il milite contre la surprime accordée aux véhicules peu kilométrés. «Sous prétexte qu’elles n’ont quasiment pas roulé, les voitures valent plus cher. Cela vaut pour celles que l’on met dans son salon mais ce n’est pas forcément un bon calcul. Si l’on veut s’en servir, il vaut mieux une voiture qui a roulé plusieurs milliers de kilomètres.» Contrairement à une idée assez répandue, une voiture qui ne roule pas s’abîme et il faut souvent prévoir des frais importants de remise en marche.
Pour les professionnels comme pour les acheteurs, le plus difficile reste de dénicher la perle rare. François Melcion, l’ex-directeur du salon Rétromobile, assure que l’offre va augmenter dans les prochaines années. Des collections vont être sur le marché soit en raison de revers de fortune conséquence du Covid-19 ou de successions à la suite de décès.
Des modèles sous les projecteurs
• CITROËN SM Faut-il y voir un effet du récent centenaire des chevrons? Depuis quelques mois, ce coupé de grand tourisme propulsé par un V6 Maserati 2,5 litres de 170 ch et réputé pour ses technologies avant-gardistes en 1970 connaît un regain d’intérêt. Privilégier un modèle en excellent état. Environ 50.000 €.
• PORSCHE 911 CARRERA 3.2 Au catalogue de mi-1983 à fin 1989, la Carrera 3.2 bénéficie d’une aura particulière en raison de son style emprunté aux 911 des années 1970 et de sa fiabilité légendaire. Elle existe en trois carrosseries: coupé, cabriolet et Targa. Autour de 50.000 €.
• FERRARI 550 MARANELLO Dans la généalogie des berlinettes 12 cylindres, la Maranello de 1996 occupe une place à part. Devenue un classique de la carrosserie, sa ligne élégante signée Pininfarina sert le retour du moteur à l’avant. Aboutie, la Maranello brille par sa fiabilité. Entre 80.000 et 100.000 €.
• JAGUAR TYPE E À la veille de ses 60 ans, le charme de cette GT anglaise est intact. Outre sa ligne à couper le souffle, la Type E se distingue également par ses qualités routières et les performances de son moteur XK. Les amateurs ne jurent que par la première série 3,8 litres ou 4,2 l. Entre 150.000 et 200.000 €.