Tout comme les ronds-points, dont les Français raffolent, les ralentisseurs sont devenus une ponctuation obligatoire de nos déplacements automobiles. Cela fait des années qu’ils fleurissent sur le bitume comme champignons après la pluie. Cette manie urbaine et périurbaine a fini par user les nerfs de bien des conducteurs qui se demandent si leur multiplication sert autant qu’on le dit à «sauver les vies» ou s’ils ne sont là, bien souvent, que par hasard. Car ces dos-d’âne sont aussi la cause d’accidents graves pour les motards, de dégâts matériels pour les voitures et leurs amortisseurs, et très souvent, de nuisances sonores pour le voisinage qui subit le freinage et la relance vrombissante des moteurs. La polémique ne cesse de grandir elle aussi dans la presse régionale, de Var-Matin à L’Est républicain, Ouest-France et Sud Ouest. Mais aussi sur TF1 et France 2. Et pourtant, ces objets urbains mal identifiés, aux formes et hauteurs changeantes, se multiplient comme des petits pains: il y a les trapézoïdaux, les plateaux traversants, les coussins berlinois. On en compte 450.000 dans les 36.000 communes de France.
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«Chaque riverain pense que les voitures vont trop vite devant chez lui, mais il veut toujours qu’on place le ralentisseur loin de chez lui», se souvient le sénateur Hervé Marseille, ancien maire de Meudon. Tel est le casse-tête de l’élu local face aux doléances de ses administrés. C’est pour en finir avec les dos-d’âne à qui mieux mieux que Thierry Modolo a créé l’association Pour une mobilité sereine et durable, qui lutte à coups de procès contre les collectivités locales qui ont succombé aux charmes du gendarme couché. À ce jour, sept procès ont été gagnés en première instance. Le prochain jugement en cour d’appel pourrait créer un précédent et faire enfin réfléchir les élus «Les trois quarts des ralentisseurs construits sont interdits: soit leur structure n’est pas bonne, soit ils sont en dehors d’une zone de circulation à moins de 30 km/h», résume Thierry Modolo. Les dérives sont nombreuses.
Il arrive parfois que sur 15 km, un conducteur franchisse jusqu’à 25 ralentisseurs. «J’ai calculé sur un trajet près de chez moi que la consommation d’essence augmentait de 17 %, que la pollution était multipliée par quatre, et l’émission des particules fines par dix.» Car après un ralentissement forcé, on a droit à une forte accélération. «Le ralentisseur est aussi un problème pour le Samu, les pompiers et le voisinage: nous avons de plus en plus de plaintes pour nuisances sonores», confirme de son côté Me Rémy Josseaume, avocat spécialisé dans le droit routier. Résultat: une conduite heurtée, loin de l’écoconduite enseignée aujourd’hui dans les auto-écoles, et une incitation à l’achat de SUV surélevés.
2 milliards d’euros
Sur le site de l’association (Pumsd.fr), un kit juridique est disponible pour ceux qui souhaitent intenter une action. On apprend qu’il y a beaucoup de flou sur ce qui est vraiment autorisé. Les recommandations du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ne mettent pas en garde contre le coussin berlinois, plus étroit, caoutchouteux et dérapant, qui est interdit, ni contre d’autres variantes trop hautes ou trop glissantes. En granit par exemple. Joint au téléphone, le président du Cerema, Pascal Berteaud, ne s’étonne pas de cette polémique, car «on se trouve dans un cas typique de conflit d’usage».
Conscient qu’il serait trop facile de s’en tirer par ce constat, il admet que l’«on pourrait refaire une évaluation sur l’ensemble du territoire». C’est un peu court, et cet aveu n’engage que lui. Ni la Place Beauvau, ni les services de Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports, n’ont donné suite aux demandes de rendez-vous de Thierry Modolo. «Le ministère des transports et les départements n’ont plus d’argent pour refaire les routes, mais il en reste pour couler des ronds-points et des dos-d’âne. La facture de ces derniers s’élève à 2 milliards d’euros», remarque Thierry Modolo, qui rappelle qu’«endix ans, nous sommes passés de la première à la 18e place dans les palmarès sur la qualité des routes». En revanche, en matière de gendarme couché, nous sommes champions.