Avec Ferrari, c’est à chaque fois la même chose. Chacune de ses séries limitées est épuisée longtemps avant le début de leur production. Baptisée Daytona SP3, sa dernière-née n’y échappe pas. Livrable à partir de fin 2022 seulement, le nouveau modèle n’est déjà plus disponible à la commande. Le constructeur italien est en effet le seul acteur automobile à pouvoir se permettre cette prouesse qui emprunte ses recettes et ses méthodes à l’industrie du luxe.
Ces dernières années, Ferrari a eu tendance à multiplier ces séries très exclusives, qui sont considérées par les clients comme des collectors avant l’heure et qui contribuent à accroître la valeur de l’entreprise désormais cotée en Bourse. En effet, une personnalisation poussée, à base de livrées évoquant des modèles qui ont forgé son histoire, suffit parfois à exciter la communauté des fidèles de la marque. Ce fut le cas de la série de véhicules imaginée pour le soixante-dixième anniversaire de la marque en 2017.
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Savamment entretenue, cette désirabilité repose sur des ressorts légendaires: la personnalité de son fondateur, Enzo Ferrari, une présence ininterrompue en compétition depuis sa naissance en 1947, un palmarès unique, des modèles de route empruntant leur technologie au monde de la course, des performances les hissant au sommet de la hiérarchie, un design mariant le faste et le glamour. Sans oublier une production contingentée.
Pour la première fois de son histoire, Ferrari a livré plus de 10.000 véhicules en 2019, tous modèles confondus. Les installations industrielles de Maranello ne permettent pas d’en produire beaucoup plus. C’est pourquoi la difficulté pour Ferrari n’est pas de vendre les modèles de son catalogue, mais de gérer l’attente, avoisinant les deux ans pour certaines versions. Et dans le cas des éditions limitées, c’est de savoir à qui les réserver. Il en va ainsi de la Daytona SP3, dévoilée la semaine dernière en grande pompe villa Cora, sur les hauteurs de Florence, et déjà annoncée à 2 millions d’euros (prix en Italie).
«Ferrari a toujours lutté contre la spéculation»
Pendant plusieurs jours, près de trois cents clients – ceux qui n’étaient pas touchés par des restrictions de voyage en raison de l’épidémie du Covid – se sont succédé dans ce palais florentin. «Nous avons reçu nos clients VIP, notamment ceux qui possèdent déjà une Monza», assure Thomas Malaval, responsable des relations publiques de la filiale West-Europe. Des amateurs que Ferrari choie et traite comme des amis de la famille. Comme à chaque fois en pareille circonstance, le constructeur met les petits plats dans les grands et donne l’impression de recevoir à la maison. Cela ne s’est jamais vu qu’un client fasse le déplacement sans être acheteur de la nouvelle voiture.
«Le dilemme pour Ferrari est finalement de savoir à qui réserver ces modèles. Faut-il remercier la fidélité ou encourager à devenir fidèle? C’est à chaque fois un exercice délicat, car le nombre limité de véhicules ne permet pas de satisfaire tout le monde et engendre de la frustration», raconte Thierry Decerisy, l’ancien directeur marketing de Ferrari-France, qui a eu à gérer le programme Enzo au début des années 2000. «J’avais été chargé de renseigner tous les dossiers de demande avant de les envoyer à l’usine», poursuit-il. Ferrari ne voulait pas reproduire l’épisode de la F40 qui avait donné lieu à des débordements spéculatifs à la fin de la décennie 1980. Peine perdue. «Officiellement, Ferrari a toujours lutté contre la spéculation, mais sa politique commerciale l’alimente», dit Thierry Decerisy. La Daytona SP3 ne devrait pas y échapper. Royale, la marque italienne a annoncé en fabriquer cent de plus que les Monza SP1 et SP2, soit 599 unités.
Poursuivant la lignée «Icona» inaugurée en 2018, la nouvelle voiture exhale le parfum de la course. Alors que le premier modèle de la série, la Monza, ravivait l’esprit des barquettes de course des années 1950, la Daytona SP3 renvoie aux sport-prototypes du Mans de la fin des années 1960. Déjà utilisé pour une berlinette de route présentée en 1968, le patronyme est un hommage au triplé des 330 P4 et P3/P4 aux 24 heures de Daytona de 1967. L’âge d’or de la compétition automobile pour beaucoup d’experts. La silhouette de la nouvelle Daytona multiplie les clins d’œil à la P4, considérée comme un chef-d’œuvre de style, mais aussi aux protos 512 S et 312 P pour la forme des ailes avant. Les designers y ont ajouté l’arrière à stries horizontales de l’étude de style 250 P5 réalisée conjointement par Ferrari et Pininfarina en 1968. Loin de verser dans la nostalgie, cette magnifique réalisation réussit à se dispenser de disgracieux appendices aérodynamiques, au prix de surfaces complexes passant par des flancs creusés devant les ailes arrière, d’une multitude d’ouïes et de lames.
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Quant à l’architecture, elle repose sur la structure monocoque en carbone de LaFerrari Aperta de 2016, symbole de l’état de l’art et de la technologie à Maranello. Le gabarit est ainsi proche de celui de la supercar, sauf pour la largeur, qui dépasse les 2,05 m. La Daytona a été conçue pour restituer les sensations que l’on éprouve au volant d’un sport-prototype à toit Targa. La position de conduite s’en approche. Elle s’ajuste en réglant le volant et le pédalier ; les sièges baquets sont fixes.
La mécanique renvoie à l’histoire de la marque. Il s’agit de la dernière évolution du V12 6,5 litres équipant la 812 Competizione mais délivrant ici 10 chevaux de plus (840 ch). Sans doute l’un des derniers modèles à préserver le 12 cylindres atmosphérique. Autre hommage aux protos du Mans, il est placé en position centrale arrière. Entièrement voué aux sensations de pilotage, ce prototype en liberté se dispense de coffre à bagages. Ferrari fait savoir que d’autres modèles de la gamme en sont pourvus. Des véhicules que les acheteurs de la série Icona possèdent aussi dans leur garage.