Bizarre! Annoncer son intention d’aller au ski en voiture électrique ne déclenche guère d’enthousiasme. Pire. Cela peut même vous valoir une pluie de réprobations de toute la maisonnée. On ne sait pas encore grand-chose de cette technologie que les politiques ont décidé d’imposer à la société – la Commission européenne milite pour l’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique à partir de 2035 -, si ce n’est que cela chamboule nos habitudes et nos repères. À vrai dire, on apprend en marchant. Ce changement de paradigme est aussi fascinant qu’angoissant selon que l’on est ouvert à l’innovation ou chantre de l’immobilisme. Le meilleur moyen de savoir si la transition écologique peut, d’ores et déjà, s’appuyer sur un écosystème performant, c’est de passer de la théorie à la pratique. Après avoir relié Lyon à Reims en décembre dernier, soit 700 km par le chemin des écoliers au volant d’une Mercedes EQS, nous souhaitions cette fois-ci faire l’expérience d’un voyage à la montagne.
» LIRE AUSSI – Pourquoi l’électrification va augmenter le coût des véhicules
Soucieux de nous placer dans des conditions réalistes, notamment de nous frotter aux aléas d’un trafic forcément dense, nous avons profité des congés de février pour rallier Barcelonnette, dans les Alpes du Sud, depuis Paris. Un périple de 755 km, réparti entre 579 km d’autoroute et 179 km de routes montagneuses. Le choix du véhicule s’est porté sur la Skoda Enyaq iV 80x équipée de pneumatiques 4 saisons. Sans doute le meilleur SUV familial électrique actuellement disponible sur le marché en termes de rapport prix/prestations. Ce modèle est équipé de deux machines électriques, une par essieu, ce qui en fait un quatre roues motrices. Délivrant une puissance cumulée de 265 ch, ses moteurs sont alimentés par une batterie de 77 kWh (82 kWh bruts). Le constructeur annonce une consommation homologuée WLTP entre 17,5 et 18,3 kWh/100 km, ce qui se traduit par une autonomie de 495 km.
Les yeux rivés sur l’ordinateur de bord
Comme nous en avons déjà maintes fois fait l’expérience, au volant de cette nouvelle race de véhicules on ne part pas la fleur au fusil. Prendre la route impose de programmer son itinéraire. Ne pas s’y astreindre, c’est s’exposer à terminer son voyage sur une dépanneuse, batterie vide. Heureusement pour les automobilistes de plus en plus nombreux à se convertir à l’électrique, le maillage des points de recharge progresse notablement, principalement sur l’autoroute. À condition de ne pas s’éloigner de ces grands axes, traverser la France ne présenterait plus guère de difficultés. C’est ce que nous avons voulu expérimenter. Instrument indispensable de toute voiture électrique, le planificateur de voyage est intégré au système de navigation GPS. Il vous mâche le travail, vous indiquant les endroits où s’arrêter pour recharger, la durée et les kilowatts récupérés.
» LIRE AUSSI – La voiture électrique dépasse-t-elle les bornes?
La programmation des arrêts évite les pertes de temps à la borne, car la batterie se prépare à recevoir une charge. Les données sont actualisées au gré du trajet en fonction du style de conduite. Autant le dire franchement: préserver l’autonomie nécessite de conduire avec un œuf sous le pied droit. Même si c’est tentant – la voiture électrique délivre la totalité de sa puissance et de son couple dès le démarrage -, quitter le péage comme une F1 est à proscrire. L’autonomie fond alors comme neige au soleil. De même, passé 120-130 km/h, la consommation augmente de manière exponentielle. La voiture électrique abhorre l’autoroute. Il est préconisé de rouler à 110 km/h pour économiser la batterie. À cette vitesse, on a vraiment l’impression de perdre son temps et la déconcentration guette. On n’est jamais assez prévoyant. Pour recouper les informations, nous planifions également notre voyage dans l’application du réseau Chargemap, auquel nous avons souscrit un abonnement (19,90 € la carte). Nous sommes également en possession d’une carte Powerpass, de Skoda, qui permet d’accéder à la majorité des bornes publiques, notamment le réseau de bornes rapides Ionity. Avec le niveau 3 de l’abonnement (9,99 € par mois la première année ; 22,59 € les suivantes), le tarif descend à 0,30 €/min au lieu de 0,79 € avec le niveau 1.
Paris, porte de Saint-Cloud. L’ordinateur de bord indique une autonomie de 326 km! Le GPS a planifié trois arrêts sur le parcours, soit 9 heures de route en comptant deux heures de pause cumulée. C’est formidable: la machine décide à votre place des pauses techniques. Même en préparant son voyage, on ne peut s’empêcher de conduire les yeux rivés sur l’ordinateur de bord. On se surprend aussi à quitter régulièrement la route des yeux pour interroger le système et l’appli Chargemap, au détriment de la sécurité. Le premier stop est programmé à Avallon. Nous avons parcouru 217 km et l’autonomie résiduelle n’est plus que de 59 km (batterie à 18%). Il faut sortir de l’autoroute A6. Quelques mètres après la barrière de péage, le parking dédié au covoiturage dispose d’une borne 160 kW en courant continu. Elle n’est pas abritée et il pleut fort. Surprise: sa gratuité compense le paysage sinistre. L’ordinateur annonce 35 minutes pour récupérer 80%. Le chargeur embarqué de la Skoda autorise une puissance de charge maximale de 120 kW, mais une mise à jour va la porter à 135 kW. Alors qu’elle a déjà délivré 11 kWh en 7 minutes, la borne tombe en rideau. Il faut ressortir sous la pluie pour relancer l’opération. On repart enfin, mais l’insalubrité des toilettes des lieux oblige à s’arrêter quelques kilomètres plus loin à la station-service de l’A6. Deuxième arrêt: la station Ionity de l’aire de Macon-Saint-Albain. La pluie a cessé, mais il fait nuit, désormais. Pas un chat dehors. Il ne reste que 61 km d’autonomie. C’est reparti pour 40 minutes d’immobilisation. Miracle: la borne délivre 127 kW, mais, à 70% de batterie, la puissance ralentit à 65 kW. On décide d’écourter la charge (230 km d’autonomie). Nous sommes attendus à dîner à Cluny. À chaque jour suffit sa peine.
Une expérience concluante
Le GPS annonce 383 km pour la destination finale. La curiosité nous pousse à nous arrêter à l’aire de l’Isle-d’Abeau, sur l’autoroute A43. La station Ionity est au bout du parking, exposée au vent et à 150 mètres du bâtiment de la station-service. Avant d’attaquer les 179 km du réseau secondaire, un dernier arrêt est prévu à l’aire Ionity du péage de Grenoble pour recharger 90% de la batterie, soit 277 km d’autonomie. Ce que nous redoutions arrive: la première borne ne reconnaît pas nos cartes ; la seconde est hors service. Les autres sont occupées et il faut attendre 10 minutes pour que l’une d’entre elles se libère. Barcelonnette est atteint avec une autonomie résiduelle de 66 km et 21% de batterie. La consommation s’établit à 22,7 kWh/100 km. À deux pas de la mairie de cette ville du sud des Alpes, une borne 50 kW est installée. La facturation n’est pas à la minute mais au kilowattheure (0,47 €). Récupérer 59 kWh en 85 minutes coûte 28,38 €.
Le voyage retour est plus détendu. La technologie commence à s’apprivoiser. Comme à l’aller, le planificateur propose trois arrêts. Petite alerte: durant la nuit précédant le voyage, la Skoda perd 30 km de rayon d’action. La preuve que les accumulateurs n’aiment pas le froid. On quitte Barcelonnette avec 283 km d’autonomie. Bon point pour notre SUV: pour rejoindre Grenoble par le col Lus-la-Croix-Haute, la consommation n’excède pas 17,3 kWh/100 km. Le relief des routes montagneuses favorise le véhicule électrique. La régénération est si élevée dans les descentes que l’on atteint Grenoble avec 213 km d’autonomie. Cette sobriété nous permet de pousser jusqu’à l’aire de Mionnay, près de Lyon, avec seulement 13% de batterie (52 km résiduels). En cette journée de retour de vacances, l’affluence est telle que quelques malins en voiture thermique stationnent sur les emplacements des bornes Ionity. Des tensions sont à prévoir les jours de grands départs.
L’arrêt suivant nous conduit à Pouilly-en-Auxois, où nous récupérons 280 km. Insuffisant pour atteindre la capitale et il faut biberonner 15 minutes à Nemours. Après 11 heures de route, nous atteignons Paris. L’Enyaq s’est révélé un compagnon de voyage confortable et agréable. L’expérience est concluante, mais le véhicule électrique impose une gymnastique à laquelle nous ne sommes pas tout à fait préparés. Faute de bornes rapides à chaque station-service, il faut sans cesse anticiper pour être certain d’enjamber les difficultés. Avec l’Enyaq, il faut s’arrêter environ tous les 200 à 230 km. Les infrastructures, on le sait, vont progresser, mais les deux contraintes que constituent la durée de la recharge et le risque de trouver des bornes occupées ou en panne ne sont pas de nature à envisager la voiture électrique comme un progrès.
Fiche technique
Moteurs: 2 électriques, 265 ch, 415 Nm de couple
Transmission: Intégrale, boîte 1 rapport
Dimensions (L x l x h): 4 653 x 1 879 x 1 605 mm
Coffre: 585 litres
Poids: 2 120 kg
Performances (0 à 100 km/h): 6,9 secondes
Vitesse: 160 km/h
Consommation: 17,5 kWh/100 km
Autonomie: 495 km
Prix: 52 030 €