Une Ferrari 4 portes: cela n’a jamais coulé de source. Enzo Ferrari a toujours déclaré que, de son vivant, il n’y aurait jamais ce type de modèle, jugeant cette architecture incompatible avec la philosophie de la marque qu’il avait créée en 1947. Il estimait que ses coupés 2 + 2 suffisaient à satisfaire sa clientèle ayant besoin d’espace et de polyvalence. La carrosserie Pininfarina a pourtant essayé de lui faire changer d’avis, réalisant une limousine de 4,83 mètres en 1980. Luca di Montezemolo étant sur la même ligne que le fondateur, on pensait le dossier définitivement classé. Au cours des années 2010, l’engouement irrépressible des automobilistes pour les SUV, les ambitions de volume de Sergio Marchionne et l’entrée en Bourse de la marque ont fini par bouleverser la doctrine maison. Annoncé en 2018, le projet de développement d’un SUV à la sauce Ferrari vient d’accoucher du Purosangue (prononcez «purosangai»).
À Maranello, on s’abrite derrière les spécificités du projet répertorié sous le nom de code F175 pour prendre ses distances avec la catégorie des SUV, comme on se moque pas mal d’être accusé par les gardiens du temple de dévoyer l’esprit originel et de vendre son âme à la Bourse. L’annonce voici quelques mois de la présence d’un V12 atmosphérique sous le capot, peut-être pour l’une des dernières fois, a généré un tel élan d’enthousiasme que toute la production est déjà vendue pour les quatre prochaines années.
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Chez Ferrari, où le nouveau modèle a effectué son baptême du feu la semaine dernière en présence de quelques journalistes triés sur le volet avant d’être présenté à un millier de clients cette semaine à Pise, il faut déjà gérer les frustrations. Le constructeur italien a en effet organisé la pénurie en décidant que les livraisons annuelles ne dépasseraient pas 20 % de la production annuelle, soit moins de 2500 unités. «Si vous avez des idées, je suis preneur», nous a dit Enrico Galliera, le directeur commercial et marketing. Les recalés pourront se consoler en se disant qu’ils feront des économies, car, au tarif d’un studio dans les beaux quartiers de Paris – 390.000 euros sans les options -, le Purosangue n’est pas franchement bon marché.
Ni turbo ni hybride
Est-ce d’abord une familiale ou une Ferrari? Peu importe. Le nouveau président, Benedetto Vigna, s’en est tiré par une pirouette, assurant que ce véhicule n’était pas comme les autres. Il n’a pas tout à fait tort: le Purosangue se présente comme une voiture de sport surélevée. Campé sur des roues de 22 pouces à l’avant et de 23 pouces à l’arrière, et culminant à près de 1,60 m du sol, 40 mm de moins que la Lamborghini Urus mais 200 mm de plus que la Ferrari GTC/4 Lusso, ce nouveau modèle semble le résultat d’un croisement entre une GT et un crossover. L’arrondi de la face avant et les feux arrière évoquent les dernières réalisations de la marque tandis que la ligne de caisse soulignée par une nervure latérale ascendante donne l’impression d’un félin prêt à bondir.
L’installation du V12 en position centrale avant, derrière l’axe des roues et sous un capot tellement long qu’il risque de toucher le plafond des parkings, a déterminé les proportions. Avec une cabine décalée vers l’arrière, les designers ont été obligés de recourir à un arrière tronqué pour éviter de dépasser les 5 m de long (4,97 m). Cela a aussi impliqué des portes arrière à ouverture antagoniste (angle de 79 degrés) dont la découpe empiète sur les passages de roue. Autre originalité du design: les passages de roue flottants, disponibles en carbone ou en plastique noir, contribuent à l’aérodynamique et à l’impression de légèreté, tout comme les flancs cintrés.
Le poids a représenté l’un des plus grands défis posés aux concepteurs. La nouvelle plateforme conçue sur un châssis spaceframe en aluminium plus léger que celui de la GTC/4 Lusso ainsi que la carrosserie mixant l’aluminium, l’acier et la fibre de carbone notamment pour le toit n’empêchent pas le Purosangue de flirter avec les 2,2 tonnes avec les fluides! C’est ainsi que, pour conserver une parfaite répartition des masses (49/51 %), gage de comportement équilibré, la boîte à double embrayage à 8 rapports est installée à l’arrière, selon le principe Transaxle. Au lieu d’un moteur hybride, pressenti initialement, la présence du V12 augure des sensations fortes. Dérivé de celui qui équipe la 812 Competitzione, ce bloc de 6,5 litres délivre ici une puissance de 725 chevaux à 7750 tr/min et un couple de 716 Nm.
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Pour exploiter pleinement des performances semblables à celles d’une GT – 0 à 100 km/h en 3,3 secondes -, le Purosangue associe à la transmission à 4 roues motrices et directrices une inédite suspension active fonctionnant avec un moteur électrique triphasé alimenté par le réseau 48 V. Selon Ferrari, ce système confère une plus grande réactivité et une réduction du roulis. Le Purosangue n’est pas une Jeep, et, si le débattement de ses suspensions lui interdit les chemins creux trop accidentés, les ingénieurs l’ont tout de même doté du système de contrôle en descente HDC pour faciliter la progression dans une pente enneigée ou boueuse.
Familial, le Purosangue l’est, mais pas trop. Le coffre dispose d’une capacité de 473 litres, à peine 23 litres de plus que la GTC/4. L’habitacle est structuré autour de quatre baquets individuels, la planche de bord autour de deux casquettes à affichage numérique regroupant toutes les fonctions que l’on trouve habituellement sur un écran central. Au centre de la console, une surface haptique et un bouton-poussoir permettent d’accéder aux fonctions de la climatisation. La sellerie étrenne un revêtement en suédine réalisé à partir de polyester recyclé, tandis que la moquette est confectionnée à partir de filets de pêche récupérés dans les océans.
Les premières livraisons de ce modèle qui ne remplace pas la GTC/4 interviendront au cours du second trimestre 2023.
Pinin, une berline pour Ferrari
Complice des premières heures du constructeur italien, la carrosserie Pininfarina trouve qu’une berline ne manquerait pas d’allure dans la gamme Ferrari. Sous couvert de fêter les 50 ans de la maison turinoise, Sergio Pininfarina présente à l’occasion du Salon de Turin de 1980 une inédite étude réalisée à partir d’une base de 400. Baptisée Pinin, le surnom de Battista Farina, le fondateur de la carrosserie, cette familiale de 4,83 mètres a pour mission de convaincre Enzo Ferrari. Réalisée par le designer Diego Ottina, sous la direction de Leonardo Fioravanti, la Pinin présente des lignes aérodynamiques et quelques innovations: projecteurs intégrés dans la forme avant, feux arrière quasiment invisibles en plein jour, tableau de bord à indications électroniques sur écran fumé, climatisation à réglage entièrement automatique, essuie-glaces totalement escamotables. Refusée par Enzo Ferrari, cette étude sans moteur restera une œuvre unique. Elle fut plus tard équipée du 12 cylindres à plat de la 512 BB.