En mai dernier, la France disposait d’un réseau de 100 000 mille bornes de recharge. Avec plus de six mois de retard par rapport au calendrier initial initié par le gouvernement en 2021. «Ce nombre de 100 000 n’avait pas été choisi au hasard», rappelle Clément Molizon, délégué général de l’Avere. En 2014, à une époque où la voiture électrique se résumait à simplement quelques modèles, Bruxelles avait dicté un ratio d’une borne pour dix véhicules. «En France, les pouvoirs publics prévoyaient un parc électrique d’un million de véhicules pour 2022», explique le délégué. Un nombre qui lui aussi a été atteint. «Aujourd’hui, l’Europe calcule le ratio borne de recharge/véhicule de façon différente. L’administration parle désormais de puissance de recharge délivrée par véhicule», poursuit Clément Molizon. Une approche, qui sur le papier, paraît beaucoup plus judicieuse, tant la demande en énergie va évoluer dans les prochaines années avec l’augmentation du parc automobile et des capacités de batterie. Pour rappel, depuis le début de l’année, il s’est vendu en France 174 441 voitures électriques. Il s’agit de la plus forte progression de toutes les énergies (+ 47,4 %) et avec une part de marché de 15,4 %, l’électrique devance désormais le diesel, se positionnant comme la troisième énergie la plus immatriculée.
Il est donc indispensable de passer à la vitesse supérieure sur le déploiement des bornes. «La France est le deuxième pays en termes de bornes, derrière les Pays-Bas, rappelle Clément Molizon, même si la géographie des deux pays n’a pas grand-chose de comparable. Autre donnée clé: les habitudes de recharge n’évoluent pas. Environ 85 % d’entre elles se font toujours à domicile ou sur le lieu de travail, sachant que les 15 % restants le sont sur des bornes publiques, aussi bien sur des recharges d’appoint que rapides, ces dernières étant conçues pour l’itinérance», indique Clément Molizon. Ces dernières représentent 6 % des bornes et on les trouve principalement sur les autoroutes et les grands axes.
Un été sans encombre
Un été qui semble d’ailleurs s’être bien passé sur l’ensemble du réseau. «Nous n’avons pas eu de retour d’une attente prolongée aux stations de recharge», remonte Gilles Bernard, président de l’Association française pour l’itinérance de la recharge électrique des véhicules (Afirev). Depuis quelques mois, «les sociétés d’autoroutes ont mis les bouchées doubles pour équiper leurs aires de services de bornes de recharge rapide», commente le délégué de l’Avere. Pour rappel, Bruxelles a imposé une distance maximale de 60 km entre deux points de recharge sur les autoroutes européennes d’ici 2025 «avec une montée en charge de la puissance disponible jusqu’en 2030». L’Avere a néanmoins observé un pic des cessions de charge. «Entre mars et juin 2023, nous enregistrions une moyenne de 14 cessions de charge par point par mois, précise-t-il. En juillet, nous sommes passés à 17 cessions.»
Tous les voyants étaient donc au vert pendant les grandes transhumances, «mais le parc de véhicules électriques n’est que d’un million», relativise Clément Molizon. Et ce dernier a bien conscience que, dans le cadre d’un marché de masse à venir, la quantité et la qualité sur les sujets de la recharge doivent être au niveau des attentes des automobilistes. «L’acquéreur d’une voiture électrique de 2023 n’a rien à voir avec celui de 2013, poursuit-il, date des premières Renault Zoe ou Citroën C-Zéro. Il veut disposer du même usage qu’il a avec sa voiture thermique alors qu’à l’époque des modèles où l’autonomie ne dépassait les 120 km les attentes étaient différentes.» C’est pourquoi l’Avere va lancer une grande enquête d’ici la fin du mois de septembre pour connaître le profil des acheteurs des véhicules électriques et leur utilisation des bornes de recharge. «En parallèle, nous travaillons avec Mobilians (le syndicat des métiers de la distribution et des services de l’automobile, NDLR) pour mieux former les vendeurs sur la mobilité électrique», rappelle-t-il.
Un réseau sous contrôle
Précédemment à cette enquête, l’organisme publie chaque mois un baromètre sur la qualité du réseau de recharge et le constat n’est pas très favorable: environ 85 % des bornes sont en effet défectueuses, indisponibles à la recharge pour des problèmes techniques ou de maintenance. «C’est un niveau assez stable, qui peut répondre aujourd’hui à l’usage comparé au parc électrique, mais qui n’est clairement pas satisfaisant», souligne Clément Molizon, dont l’organisation vise à terme 95 % des bornes en état de fonctionnement. Car plus que le nombre de bornes, c’est la disponibilité des points de recharge et la qualité du service qui sont les vrais enjeux dans le déploiement de l’électrique en France. «Les premiers réseaux ont plus de dix ans ; ils ont été installés généralement par les pouvoirs publics et les bornes n’ont pas toujours été entretenues comme elles le devaient», regrette Gilles Bernard. Et de citer quelques exemples parmi tant d’autres: «Dans certaines régions, à cause de la sécheresse et la terre qui s’est compactée, des câbles se sont retrouvés à l’air libre. Les opérateurs ont dû condamner les bornes et effectuer des travaux de mise en conformité».
De plus, les mentalités des opérateurs changent en profondeur. À titre d’exemple, un groupe de travail se réunit tous les mois pour faire le point sur la qualité du réseau des stations de recharge. «Les opérateurs ont désormais l’obligation de publier des engagements de qualité et les résultats obtenus», précise Gilles Bernard. Des informations accessibles au public sur le site de l’Afirev.
Cartographie de la recharge
Outre la qualité, ces organismes suivent de très près l’implantation des bornes. Si un parc de 100 000 bornes est, pour la plupart des personnes chargées du dossier recharge, un nombre symbolique, il est temps pour eux de passer à l’étape supérieure qui consiste à bien mailler le territoire. «La bonne question qu’il faut se poser est simple: comment les automobilistes rechargent-ils?», analyse Gilles Bernard. Car aux yeux de l’Afirev, l’important n’est pas le nombre de bornes, ni le temps qu’une voiture y reste branchée, mais bien de savoir quelles sont celles les plus utilisées et où sont-elles. «Car si ces bornes sont fortement sollicitées, cela signifie qu’elles ne sont pas en nombre suffisant pour répondre aux attentes des automobilistes et qu’il faut agrandir les stations»¸ résume-t-il.
Ces données ne sont pas toujours faciles à réunir tant le marché des opérateurs est aujourd’hui éclaté. C’est une des raisons pour lesquelles les collectivités territoriales ont depuis peu l’obligation de planifier l’installation des bornes dans le cadre d’un schéma directeur. Bien qu’elles ne soient pas toutes sensibilisées sur le sujet. «Il faut désormais développer les points de recharge dans les zones périurbaines où l’usage de la voiture est indispensable mais dans des quartiers où le bâti, bien que souvent individuel, n’est pas compatible avec la possibilité d’installer une prise à domicile», observe Gilles Bernard. Il préconise d’équiper les zones résidentielles, endroits où jusqu’à présent, les collectivités ont peu déployé de solutions de recharge, s’appuyant sur les supposées possibilités de recharge à domicile. «Inutile d’y installer des bornes de recharge rapide, car cela ne correspondrait pas aux besoins. Les gens ont besoin d’avoir suffisamment de puissance pour une recharge nocturne», complète-t-il. Idem dans les territoires ruraux afin d’éviter les zones blanches. Les 100 000 bornes n’étaient qu’un début. À fin juillet, le réseau était constitué de 105 000 points de recharge, en progression de 56 % sur les douze derniers mois et l’État s’est fixé comme objectif 400 000 bornes d’ici la fin de la décennie
